« L’agora où résonne le monde »

Entretien avec Christophe Perton, directeur de la Comédie de Valence, qui présente à Paris une remarquable mise en scène d’une pièce d’Ernst Toller. Il explique son besoin de revenir à un théâtre politique.

Gilles Costaz  • 31 janvier 2008 abonné·es

Hop là, nous vivons !, d’Ernst Toller, mis en scène par Christophe Perton et donné au théâtre des Abbesses, est un spectacle important : il permet de redécouvrir l’oeuvre d’un grand auteur allemand, Toller (1893-1939), qui fut un opposant au nazisme et se suicida en exil ; il pose la question de la révolution et de la pureté politique, à travers le destin d’un homme qui, sortant de prison après une condamnation à mort transformée en une peine d’enfermement, trouve à la tête d’un ministère réactionnaire l’un de ses anciens compagnons de résistance. Joué par Vincent Garanger, Yves Barbault, Juliette Delfau et Gauthier Baillot, notamment, le spectacle est d’une ampleur rare. Son maître d’oeuvre, Christophe Perton, dirige la Comédie de Valence depuis 2001, d’abord en tandem avec Philippe Delaigue, puis seul depuis 2007.

Vous dirigez la Comédie de Valence après être passé par Privas. Vous êtes lyonnais. Êtes-vous un enfant du théâtre lyonnais, qui a eu une telle importance au sein de la décentralisation ?

Christophe Perton : Je ne suis pas passé par une école de théâtre. J’ai arrêté l’école très tôt et fait toutes sortes de petits boulots. Ce qui m’a fait aimer le théâtre d’un coup, c’est de lire Cyrano de Bergerac , d’Edmond Rostand. Et puis j’avais un ami peintre-décorateur qui travaillait au TNP de Roger Planchon. Je l’ai accompagné un jour où il livrait un décor, et je me suis faufilé dans le théâtre. J’étais un cinéphile acharné à l’époque, et j’ai été fasciné par cette extrême simplicité, l’existence des acteurs dans la cage de scène. J’ai créé ma compagnie. Pour mon premier spectacle, la Danse de mort, de Strindberg, j’ai investi le théâtre du lycée qui m’avait renvoyé…

En effet, Lyon était un grand foyer, avec Planchon, Maréchal, Martinelli… C’était une vraie capitale du théâtre, et elle l’est toujours. La force de Lyon, c’était Villeurbanne, le TNP, un lieu unique en Europe. On y a tout vu !

Votre activité à Privas puis votre installation à Valence vous conduisent à « faire du théâtre autrement ». Qu’entendez-vous par là ?

Avec Philippe Delaigue, on a voulu diriger un Centre dramatique national autrement. C’est-à-dire avoir une troupe permanente de dix acteurs, développer le principe de la commande, faire du théâtre un lieu de créations à part entière (cinq à huit par saison), être ouvert aux artistes et aux auteurs étrangers. Je tiens beaucoup à la compagnie itinérante dans la Drôme et l’Ardèche. Nous ne faisons circuler que des pièces contemporaines. C’est mon credo. Il faut faire confiance à l’intelligence et à l’appétence des gens. Quand j’étais à Privas, j’ai monté Porcherie , de Pasolini. Ce fut une bronca, le conseil municipal m’a demandé de venir m’expliquer. J’ai fait un travail de sensibilisation en constituant un montage de textes de Pasolini, qu’on a présenté dans les villages. Maintenant, le public attend des oeuvres modernes. J’ai fait venir un Labiche, un jour, et les gens m’ont dit qu’ils espéraient autre chose.

Comment en êtes-vous venu à monter « Hop là, nous vivons ! », de Toller ?

J’y pense depuis dix ans, mais il fallait adapter la pièce, qui comporte quatre-vingt-dix personnages. C’est aussi un retour au théâtre politique, qui a à peu près disparu, un besoin de réinterroger le monde.

Comment résumeriez-vous votre credo ?

À l’heure particulièrement difficile pour lutter contre le consumérisme qui est en voie de globaliser l’art en général, je me sens la responsabilité de tenter de faire en sorte que le théâtre ne soit pas le simple lieu de la production de spectacles plus ou moins divertissants, qu’il soit un lieu de création, de vie, de débat, qu’il soit au coeur de nos cités l’agora où résonne le monde, l’actualité et l’histoire sublimés par les poètes. J’ai nourri mon approche de la scène dans la diversité des arts, de la peinture au cinéma en passant par la musique, qui occupe une place essentielle dans ma vie et mon travail. J’y ajoute une autre approche, celle qui se nourrit du regard des inconnus, ceux que nous croisons chaque jour dans la rue, sur les places, dans la vie en général, et qui font ensemble, par leurs regards et leurs mouvements, le théâtre du monde.

Et ensuite ?

Nous n’aurons pas pour 2008 les moyens qui nous ont été promis. L’équipe est épuisée par le bon travail qu’elle a effectué. Il n’y a, au ministère, aucune considération réelle du travail effectué dans la durée et l’acharnement, et il existe un hiatus démoralisant entre les effets d’annonce et la réalité. Je ne sais pas comment je vais continuer. De toute façon, je n’irai pas au-delà de mon mandat, qui s’achève en 2009.

Culture
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