Philippe Lefait : La nuit venue

Jean-Claude Renard  • 4 janvier 2008 abonné·es

Le générique d’ouverture donne le ton, enveloppé dans les notes veloutées du « Petit Bal perdu » de Bourvil. Diffusé à une heure tardive, vers 1 h 30 le mercredi soir, « Des mots de minuit » est l’un des objets rares du petit écran. Plateau ouvragé qui voit se croiser sans bousculade Fellag, Jacques Bonnaffé, les écrivains Jean-Yves Cendrey et Émile Brami, les metteurs en scène Eva Vallejo et Bruno Soulier, la photographe Laurence Leblanc, les chanteuses Katie Melua ou Stacey Kent, la chorégraphe sénégalaise Germaine Acogny, le compositeur Thierry De Mey, Goran Bregovic et son orchestre, le casseroleur Thierry Marx… Soit un menu dégustation où s’équilibrent les genres.

Illustration - Philippe Lefait : La nuit venue

Le principe de l’émission repose sur le partage, l’échange, entre une poignée d’invités, au creux d’une atmosphère en écrin, propice à la confession, au débat articulé autour de la création, de l’engagement. Un débat mené feutrement par un animateur effacé derrière ses invités. À l’intérieur de cet écrin, l’émission s’enrichit, s’enfle d’emprunts, d’actualités, d’archives, de clins d’œil, de références culturelles, comme un livre se gonfle d’intertextualité. Ni coupures publicitaires, ni secousses au synthétiseur, ni spectacularisation ou invités faire-valoir d’un journaliste. Juste du verbe et de l’écoute. Quelque chose qui remplit. Parce qu’artistes ou intellectuels ne sont pas là pour faire leur promotion mais pour livrer leur travail ou leur réflexion… Non sans hasard : « Des mots de minuit » a le choix de ses invités. Le magazine s’inscrit donc dans l’affinité élective, non pas dans un projet polémique ou tapageur. Partant, il existe une disponibilité à entendre l’autre plus importante. En y ajoutant une note de bas de page : à l’occasion, Philippe Lefait ponctue la soirée par : « La peine de mort n’a toujours pas été abolie aux États-Unis, et il y a toujours surpopulation dans les prisons françaises. »

Dans cet esprit, la présence sur le plateau, en octobre dernier, de Pierre Dumayet serait à voir comme la synecdoque du magazine : Dumayet évoquait les années télé passées, celles d’une fenêtre sur le monde, de « Cinq colonnes à la une » à « Lectures pour tous », pointait du doigt l’absurdité, voire la gravité d’une télé actuelle qui pousse à « éliminer » (songeant aux ressorts de la télé-réalité), soulignait l’impérieuse nécessité de la lecture. En face, un journaliste soucieux d’un phrasé qui cherche ses mots, prend son temps, fouille une mémoire foisonnante. L’écoute, c’est du temps. Une affaire de patience et de respect.

Depuis neuf années maintenant, chaque mercredi, ce sont près de deux heures ciselées façon orfèvre. Sans guipures, calembredaines et froufrou. Dans les conditions du direct, entrelardée de trois pages musicales en live, l’émission est enregistrée la veille pour le lendemain, sans coupe ni montage. La pensée ou la parole est ainsi livrée telle qu’elle s’élabore. Dans les coulisses du magazine, produit par Philippe Lefait et Thérèse Lombard, dont la rédaction en chef est assurée par Rémy Roche, ils sont huit à sélectionner sujets et invités en résonance avec la politique éditoriale, celle du partage des idées et des savoirs. « Notre ambition , souligne Philippe Lefait, reprenant la fameuse formule nietzschéenne, est de nuire à la bêtise. » L’entreprise a raison de ses ambitions : « Des mots de minuit » rassemble en moyenne entre 300 000 et 400 000 téléspectateurs.

Du peu et beaucoup à la fois. Peu au regard des millions de personnes glanées par TF 1. Beaucoup quand l’on sait son horaire tardif. Soit au bout de la nuit. Programmer le magazine à l’heure de son intitulé (et voire avant) serait pour France Télévisions, écartelée entre la promesse de qualité et les recettes publicitaires, bien plus qu’une affaire de ponctualité mais de mission accomplie.

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