Préjudice écologique reconnu

Patrick Piro  • 24 janvier 2008 abonné·es

C’est certain, au regard du scandale évité, le jugement du procès de l’ Erika , le 16 janvier, est à saluer d’un galet blanc. En effet, la complexité de la chaîne des responsabilités, les mécanismes de dédouanement forgés par le commerce maritime ainsi que la faiblesse du droit international autorisaient des relaxes à la pelle et des peines molles. En condamnant les responsables, au sens où la morale et l’intérêt public les désignaient, le tribunal correctionnel de Paris crée une brèche spectaculaire dans un édifice obsolète : l’affréteur (Total) ne saurait se déresponsabiliser alors qu’il a pouvoir de révoquer une épave pour le transport de son fioul ; la société de classification (Rina), qui a déclaré l’ Erika « bon pour la navigation » , ne peut invoquer son enregistrement à Malte pour invalider l’accusation ; l’armateur et le gestionnaire du pétrolier ne sont pas couverts par son pavillon de complaisance (maltais, là encore), etc.

Autre percée, qui tire le droit maritime vers les réalités de l’époque : le préjudice écologique est enfin reconnu. Jusque-là, la justice ne reconnaissait que les dommages économiques et d’image de marque ; voilà estimé le tort envers la nature : combien valent un pétrel mazouté, l’asphyxie de la flore d’un littoral, etc.

Un jugement opportuniste également (au sens positif), parce qu’il laisse Total englué. La compagnie a des arguments pour faire appel ­ possible contradiction du jugement avec les conventions internationales, par exemple ­, mais beaucoup à perdre : un grand bond pour l’amende (d’autres parties civiles vont chiffrer leur préjudice écologique), une image durablement souillée par ces déballages (alors que le procès AZF débute en septembre), et la colère décuplée de victimes dont l’indemnisation est ajournée. Cependant, en renonçant à l’appel, Total ouvre la voie à une jurisprudence historique défavorable à la profession.

Aussi, le concert de klaxons saluant cette victoire du droit n’est pas intégralement déplaisant à Total : il renvoie au second rang la faiblesse de l’amende, de cinq fois inférieure à la demande des parties civiles. L’enjeu d’un appel, finalement, concerne aussi les associations écologistes et les gestionnaires d’espaces naturels, désormais reconnus compétents pour assigner au nom du préjudice écologique : 192 malheureux millions euros pour une gigantesque marée noire (condamnation solidaire des coupables), quand Total pourrait annoncer 10 milliards d’euros de bénéfices en 2007, ça reste très bon marché.

Écologie
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