Traité européen : Le bal des faux culs

En décidant de s’abstenir au Congrès de Versailles, le PS renonce à empêcher la ratification par voie parlementaire du traité modificatif européen. Ce qui rend bien hypocrite le regret de ses élus sur le référendum.

Michel Soudais  • 17 janvier 2008 abonné·es
Traité européen : Le bal des faux culs

Boycott, abstention ou liberté de vote. Mardi matin, après une semaine agitée, ponctuée de prises de position contradictoires, le parti socialiste hésitait sur la conduite de ses parlementaires lors du vote du Congrès, le 4 février, sur la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité modificatif européen. Alors que le PS s’est déjà prononcé en faveur du nouveau traité, le 6 novembre [^2], la question de l’attitude à adopter lors de ce scrutin a constamment été repoussée.

Illustration - Traité européen : Le bal des faux culs


Nicolas Sarkozy et François Hollande sur le perron de l’Élysée, le 19 juin 2007.

Juridiquement, cette première étape a pour objectif de procéder à un toilettage de notre Constitution pour la rendre compatible avec les abandons de souveraineté inscrits dans le nouveau texte européen, autorisant ainsi sa ratification. Mais la question est surtout politique. Car si Nicolas Sarkozy est assuré d’une majorité pour ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire [^3], il n’est pas assuré d’atteindre la majorité des 3/5 requise pour modifier la Constitution (voir encadré). Dès lors, il est possible d’utiliser ce scrutin pour bloquer la ratification par voie parlementaire et contraindre le président de la République à convoquer un référendum pour procéder à la ratification du traité destiné à remplacer la défunte « constitution » européenne.

L’enjeu du vote du 4 février n’est donc pas mince. Et nombre de socialistes, à la suite du sénateur Jean-Luc Mélenchon, qui, le premier, en a émis l’idée au soir du second tour des législatives, réclament que leurs parlementaires saisissent cette occasion unique d’obtenir l’organisation d’un référendum sur le nouveau traité, conformément à l’engagement pris par leur parti lors du congrès du Mans, réitéré dans le Projet socialiste, puis défendu par la candidate du PS à l’élection présidentielle. Ce n’est, hélas, pas le scénario le plus probable.
Le 8 janvier, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, a en effet mis à profit ses voeux à la presse pour annoncer tout de go que les parlementaires socialistes boycotteront la réunion du Parlement en Congrès : « Un référendum a rejeté le traité précédent. Un nouveau texte a été préparé. Il me paraît impossible que nous participions à la révision préalable de la Constitution, dès lors que nous défendons la voie référendaire plutôt que la voie parlementaire. » Une ligne de conduite confirmée quelques heures plus tard par François Hollande : « Nous n’acceptons pas la procédure telle qu’elle a été proposée par Nicolas Sarkozy. Pour marquer notre refus d’une procédure qui n’est pas conforme à ce qui est notre conception de la démocratie, nous n’irons pas au Congrès à Versailles pour la révision de la Constitution préalable à la ratification, mais, après, au moment de la ratification, nous prendrons la responsabilité d’Européens que nous sommes. » L’un comme l’autre estimant en outre que cette position était « la plus cohérente ». « La plus logique, dès lors que le traité constitutionnel avait été repoussé par une majorité de nos concitoyens », assurait même le Premier secrétaire du PS, non sans indiquer que son parti était « pour la ratification du traité de Lisbonne parce qu’il permet de sortir de l’impasse, mais en même temps pour qu’il y ait le respect du peuple français » .

Dans la foulée, Jean-Marc Ayrault et François Hollande faisaient aussi savoir que le groupe socialiste voterait, le 15 janvier, une proposition de loi communiste demandant à ce qu’un référendum soit systématiquement organisé pour la ratification d’un traité contenant des dispositions similaires à celles d’un traité rejeté par référendum. Et qu’il défendrait une motion demandant que ce traité soit ratifié par référendum, lors de l’examen du projet de loi de ratification du traité à l’Assemblée, le 6 février.

La grossièreté de la manoeuvre n’a pas fait illusion. Plusieurs députés n’ont pas manqué de souligner que ni la proposition de loi portée par Patrick Braouezec, ni la motion de procédure n’avait de chance d’être adopté, l’UMP disposant d’une majorité écrasante au Palais Bourbon.

« On ne peut pas dire dans le même temps qu’on veut un référendum et adopter une attitude qui, de facto *, laisse les mains libres à Nicolas Sarkozy »* , avertit Henri Emmanuelli, que la tactique de Jean-Marc Ayrault, décidée sans vote du groupe parlementaire, a jeté dans une colère noire.

Si l’objectif était d’afficher une position commune des socialistes qui préserve, au moins en façade, l’unité du parti, c’est raté ! Le boycott ne satisfait ni les « ouistes » alignés sur la social-démocratie européenne, ni les anciens partisans du « non », qui maintiennent leur intention de s’opposer à Versailles (voir ci-contre). Parmi les premiers, Jack Lang a tôt fait savoir qu’il se rendrait à Versailles pour « voter deux fois « oui » » , tout comme Manuel Valls, qui dénonce une posture dictée par des intérêts de « boutique » , et un symptôme supplémentaire des « 3 i » qui, selon lui, affectent le PS : « immobilisme, illisibilité et incohérence » . Du côté des seconds, si Laurent Fabius qualifie sobrement le boycott d’ « esquive » , le député du Nord, Marc Dolez, fustige une position « déplorable » qui revient à « se rendre complice » d’une « forfaiture qui consiste à faire adopter par le Parlement un projet de traité précédemment repoussé par le peuple ». Quant à Henri Emmanuelli, il stigmatise la « duplicité » d’une « manoeuvre pitoyable » qui « ne témoigne pas de beaucoup d’estime pour les facultés intellectuelles des membres du groupe et pas davantage pour nos concitoyens » . La prise de position de Jean-Marc Ayrault n’est pas surprenante. Le 31 octobre, sur France 3, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale avait déjà déclaré qu’il était inutile « de s’obstiner à demander un référendum que le président de la République a dit qu’il ne ferait pas » . Selon lui, Nicolas Sarkozy ayant annoncé qu’il n’organiserait pas de référendum lors de la campagne présidentielle, « les Français ont tranché » . « Si chaque fois que le président de la République annonce quelque chose il faut se taire, à ce moment-là ça ne sert à rien d’avoir une opposition. Autant lui donner les pleins pouvoirs, se taire, et attendre 2012 » , tempête le député européen Benoît Hamon.

Ce n’est pas le seul argument dilatoire avancé par les partisans de l’abstention ou du boycott, pour tenter de justifier leur position. « Si la révision est rejetée, le traité ne peut être adopté puisqu’il devient anticonstitutionnel » , prétendent l’entourage de Jean-Marc Ayrault et des députés « ouistes » [^4]., ainsi que le député européen Vert Alain Lipietz. Selon eux, il ne pourrait plus y avoir alors ni ratification parlementaire ni référendum, puisque l’article 11 de la Constitution autorise le président de la République à recourir au référendum pour ratifier un traité qui « aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » à la condition que celui-ci ne soit pas « contraire à la Constitution » . Cet argument, qui dénote une sacralisation de la Constitution de la Ve République surprenante de la part de ceux qui le professent, n’est même pas juridiquement exact, explique le constitutionnaliste Dominique Rousseau, interrogé par l’Humanité (15 janvier) : « Si la majorité des 3/5 nécessaire à la révision constitutionnelle n’était pas réunie, le président de la République pourrait encore utiliser la voie référendaire pour la faire adopter. Ce n’est pas parce que le Congrès l’aurait rejetée que le traité de Lisbonne serait condamné. »

Autres arguments avancés : « Même si tous les élus de gauche votaient « non », le président de la République dispose des 3/5 » , nous déclarait Julien Dray, sur Radio Orient, le 11 janvier, contre toute évidence. « Si François Bayrou avait voté « non », les choses auraient changé » , s’est même risqué le député de l’Essonne, tout en indiquant qu’il ne « votera pas « non » pour ne pas bloquer la machine » . « On ne peut pas voter avec n’importe qui » , nous répondit le député européen Kader Arif, par ailleurs secrétaire national aux fédérations et numéro3 du PS, en marge d’un forum de la rénovation, fin novembre, à Avignon, quand nous lui faisions remarquer qu’avec l’appoint d’une dizaine d’élus de droite il était possible d’atteindre la minorité de blocage des 2/5. Comme s’il était plus compromettant d’obtenir l’appui de quelques souverainistes, comme Nicolas Dupont-Aignan, plutôt que d’ajouter ses voix aux gros bataillons du sarkozysme.

Toutes ces arguties n’ont d’autre fonction que de masquer une réalité bien moins glorieuse. Ceux qui ont mené la campagne pour le « oui » au traité constitutionnel européen en 2005 « n’ont jamais admis le vote du peuple français » , explique Henri Emmanuelli, qui les engage à avoir « le courage de le dire » . On ne saurait lui donner tort. Car, depuis que Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont ouvert le bal des faux-culs par leurs déclarations en faveur du boycott, l’hypocrisie s’affiche à tous les étages de Solferino.

« Il ne faut pas que les socialistes se disputent à nouveau sur cette question de procédure » , déclare Ségolène Royal, comme si la souveraineté du peuple était une question annexe, moins importante que la préservation de l’unité du PS.

Partisan d’aller à Versailles pour s’abstenir, Pierre Moscovici expliquait lundi que « l’abstention, qui ne ferait pas obstacle au traité, signifierait que nous ne sommes pas contents qu’on n’ait pas procédé à un référendum » . Mécontent, Pierre Moscovici ? Pour la galerie, peut-être. En son for intérieur, certainement pas. Quand nous lui avions demandé, le 19 octobre, lors de l’émission « Pluriel », sur Radio Orient, s’il ferait tout ce qui est en son pouvoir de parlementaire pour imposer le référendum, le député du Doubs nous avait honnêtement répondu : « Non. » « J’étais favorable au vote parlementaire la dernière fois » , rappelait-il à l’antenne, en avouant s’être trouvé alors « un peu seul » . Se disant « pas gêné » par le recours à la voie parlementaire, il ajoutait penser, « à titre personnel » , que « le référendum sur cette question ne doit pas être systématiquement invoqué sauf à mettre l’Europe en cible » .

Comme le député du Doubs, qui se verrait bien endosser le costume de Premier secrétaire ­ cette ambition n’est sans doute pas étrangère à ses dernières prises de position ­, une majorité de députés s’est prononcée mardi, en faveur de l’abstention à Versailles : alors que cette réunion était importante, près de la moitié des élus étaient absents. Si bien qu’on ne retrouve pas, dans le décompte du vote communiqué par Jean-Marc Ayrault (68 pour l’abstention, 30 pour le « non » et 8 abstentions), tous les députés signataires de l’appel du Comité national pour un référendum (voir ci-contre). Ce qui témoigne à tout le moins d’un engagement sans grande conviction.

Sans attendre le 4 février, Nicolas Sarkozy peut dire merci à François Hollande et à Jean-Marc Ayrault. Avec des opposants pareils, il n’a pas besoin de majorité.

[^2]: À une majorité de 36 voix contre 20, le bureau national a dit « oui » au traité quel que soit le mode de ratification (voie parlementaire ou référendum). Il y a eu deux abstentions (Malek Boutih, Arnaud Montebourg) et un refus de vote (Julien Dray).

[^3]: Le projet de loi de ratification doit être approuvé par l’Assemblée nationale et le Sénat, dans les mêmes termes, par une majorité simple.[^4]: C’est le cas du député de Paris Christophe Caresche (le Figaro, 15 janvier)

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