Un accord pour la précarisation

La négociation sur la réforme du marché du travail devrait s’achever les
9 et 10 janvier. Le Medef compte obtenir l’accord de plusieurs syndicats sur des propositions. L’économiste Thomas Coutrot* analyse ici leur contenu.

Thomas Coutrot  • 4 janvier 2008 abonné·es

Le 10 janvier, les partenaires sociaux devraient signer l’accord interprofessionnel sur la « modernisation » du marché du travail. Nous ne connaissons pas, à l’heure de rédiger cet article, la liste précise des signataires (la CGT franchira-t-elle le pas ?) ni le contenu définitif de l’accord (des points de détail restent incertains), mais il est déjà clair qu’il s’agit d’un accord sans précédent par l’ampleur des mesures de précarisation que le patronat a su faire endosser aux syndicats. La menace du vote d’une « loi-Medef » en cas d’échec de la négociation explique évidemment ce succès patronal. Mais les syndicats, le pistolet sur la tempe, n’ont pas cherché à informer ou mobiliser les salariés. L’épisode du CPE avait pourtant montré une capacité considérable de résistance sociale à la précarisation, pour peu que les organisations de salariés et de la jeunesse prennent leurs responsabilités.

Le miroir aux alouettes de la flexicurité
Sans citer explicitement le terme, l’accord s’inspire largement de la thématique de « la flexicurité » promue par une récente communication de la Commission européenne (juin 2007). L’idée paraît a priori séduisante. Le « modèle danois » permet de concilier une grande flexibilité de gestion pour les entreprises (avec peu de règles limitant les licenciements) et une forte sécurité de revenu pour les salariés (grâce à des allocations de chômage très élevées et versées durant quatre ans). Les études montrent que les Danois sont beaucoup moins inquiets de l’insécurité sociale que les Français. La flexibilisation de l’emploi, combinée avec une vraie garantie de revenu, permettrait de réduire les inégalités entre salariés en place d’un côté, précaires et chômeurs de l’autre. Au prix, néanmoins, d’un abandon de tout droit de regard des salariés sur la marche de leur entreprise.

Illustration - Un accord pour la précarisation

Leguerre/AFP

Mais pourquoi vouloir flexibiliser un marché du travail français qui ne semble guère rigide ? 2,5 millions de salariés sont en CDD ou en intérim, un record historique ; 800 000 à 900 000 salariés en CDI sont licenciés chaque année. Les licenciements pour « motif personnel » se sont multipliés et représentent désormais trois quarts des licenciements, le quart restant concernant le motif économique. Dans 9 cas sur 10 (l’exception étant les licenciements économiques collectifs), les procédures sont extrêmement simples : un entretien plus l’envoi d’une lettre précisant les motifs. Licencier un CDI dans les deux premières années ne coûte quasiment rien.

Cependant les indemnités peuvent représenter un à deux ans de salaire pour des salariés ayant une certaine ancienneté. Le problème pour le patronat n’est donc pas tant le manque de flexibilité globale du marché du travail, mais plutôt le fait que le noyau dur du salariat français demeure constitué par des salariés en CDI avec plus de quinze ans d’ancienneté, relativement chers à licencier. Les licenciements pour « motif personnel » nécessitent parfois des transactions financières (surtout pour les cadres) coûteuses pour les entreprises, et occasionnent des litiges aux prud’hommes.

La trouvaille du licenciement « amiable »
L’accord est créatif en matière de précarisation des contrats. La durée de la période d’essai serait doublée (désormais six mois pour les ouvriers et employés, et un an pour les cadres), petite revanche sur l’échec du CPE et la mort du CNE. Mais surtout, sous la rubrique (cela ne s’invente pas) « sécuriser les fins de contrat » , le Medef obtient la création de deux nouvelles modalités « amiables » de rupture des contrats : la « rupture conventionnelle » (par simple accord de l’entreprise et du salarié devant huissier) et la « rupture pour réalisation de l’objet prévu au contrat » . Ces séparations « amiables » une fois homologuées, aucun recours ne serait plus possible devant les tribunaux. La « sécurisation des parcours professionnels » se réduit à la sécurisation… des licenciements.

Les syndicats ont certes voulu limiter la casse en demandant que la rupture conventionnelle soit qualifiée en licenciement et homologuée par un conseiller prud’homal. À l’exception de la CFDT, ils ont aussi souhaité que le contrat de mission soit considéré comme un CDD et non un CDI, paradoxalement un peu plus favorable au salarié (prime de précarité, durée garantie du contrat…). L’avenir dira si ces nouveaux modes de rupture seront ou non massivement mis en œuvre. Mais les phrases aimables de l’accord sur « le CDI forme normale et générale du contrat de travail » , « le recours responsable au CDD et à l’intérim » ou « la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » n’apparaissent que comme du baume sur les plaies à vif du CDI.

L’accord comporte encore quelques pépites (sur le « reçu pour solde de tout compte » , sur les « éléments contractuels » du contrat de travail, sur le portage salarial), moins spectaculaires mais fort appréciables pour le Medef ; citons seulement la clause assez scandaleuse selon laquelle « une rupture du contrat de travail due à la survenance d’une inaptitude d’origine non professionnelle ne doit pas être considérée comme un licenciement » … et n’ouvre donc plus droit aux indemnités. Le feu vert est ainsi donné au licenciement des salariés malades.

Des avancées cosmétiques
Les syndicats se félicitent des concessions obtenues en matière de « portabilité » des droits individuels en cas de changement d’employeur, un premier pas selon la CGT vers la Sécurité sociale professionnelle. Mais, sauf surprise de dernière minute, ces avancées se limitent au maintien de la couverture complémentaire maladie pendant six mois après la rupture du contrat et à la possibilité de transporter une partie des droits non utilisés au titre du droit individuel de formation (DIF) chez un nouvel employeur avec l’accord de celui-ci. Même si le Medef outrepasse l’opposition de la CGPME à cette mesure de « portabilité », l’avancée est pour le moins limitée, au regard des reculs consentis par ailleurs.

D’autant qu’en matière d’indemnisation du chômage, l’accord procède à un cadrage sévère de la prochaine négociation Unedic de fin 2008 : permettre l’indemnisation des salariés débarqués « à l’amiable », « mieux indemniser les allocataires pour des durées plus courtes », « optimiser la prise en charge des demandeurs d’emploi sans augmenter les prélèvements sur les entreprises et sur les salariés » , « renforcer l’accompagnement du demandeur d’emploi » et redéfinir l’offre valable d’emploi en tenant compte de « l’ancienneté dans le chômage du demandeur d’emploi » : l’indemnisation du chômage servira de plus en plus à accentuer la pression sur les chômeurs afin qu’ils reprennent le plus vite possible n’importe quel type d’emploi. Si la flexicurité peut, dans l’abstrait, paraître séduisante, sa version « made in Medef » est une caricature. C’est la flexibilité pour les salariés et la sécurité pour les entreprises : « Pile je gagne, face tu perds. »

T. C.

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