« Un système à bout de souffle »

Le 24 janvier s’ouvrait la première négociation entre les syndicats et le patronat sur la réforme des règles de la représentativité. Thierry Renard, responsable des questions juridiques à l’Union syndicale Solidaires, en dévoile les enjeux.

Jean-Baptiste Quiot  • 24 janvier 2008 abonné·es

Quel est l’état du système actuel de représentativité syndicale ?

Thierry Renard : Le système est à bout de souffle et repose sur une anomalie générale. En cause : la conception essentialiste du syndicalisme qui domine. Les syndicats n’ont pas à faire la preuve de quoi que ce soit, ils représentent les droits des salariés. Point final. C’est comme si les questions de démocratie étaient des questions d’ordre politique et pas du tout d’ordre syndical. Aujourd’hui, ce n’est plus acceptable. Le débat actuel sur la représentativité est le fruit de deux évolutions intimement liées. Celle de la crise du syndicalisme et celle du type d’accords signés. Si aujourd’hui il y a débat sur la légitimité des syndicats, c’est parce qu’on est passés d’une situation où les accords amélioraient ­ beaucoup ou un peu ­ la vie des salariés à une situation où les accords sont souvent des régressions sociales.

Illustration - « Un système à bout de souffle »

La négociation a donc pour objectif de réviser les règles qui légitiment le pouvoir syndical ?

S’interroger sur la représentativité, c’est forcément se poser la question de la légitimité à parler à la place des autres. Mais il faut revenir au sens des mots. Qu’est-ce qu’une représentation ? C’est une délégation, une action qui se fait au nom des salariés. Dans le code du travail, ce sont bien les salariés qui sont titulaires du droit de la négociation. Donc, si on discute « représentativité », on discute nécessairement de « démocratie ». Le droit pour un groupement à parler à la place des autres implique par définition des règles de démocratie.

Qui décide de la légitimité des syndicats ?

En France, la représentativité est accordée par le pouvoir politique selon ses propres intérêts. C’est lui qui décide, et non les salariés. Pour l’indépendance des syndicats, cela pose un vrai problème. Ainsi, si l’on discute de la représentativité syndicale, on devrait pouvoir aussi discuter de la représentativité patronale. Or, cette première séance de négociation élude complètement la question de la représentation des organisations patronales. D’un côté, le Medef se mêle de la représentativité des salariés et, de l’autre, il refuse toute discussion sur la sienne propre.

Que veut le gouvernement avec cette négociation ?

À la Libération, des règles ont été érigées pour protéger les salariés des syndicats qui avaient collaboré ou des organisations corporatistes patronales. Il y a eu, depuis, un détournement de la finalité de ces règles. Elles sont faites maintenant pour protéger les patrons et les syndicats en place de la constitution de nouvelles organisations. La technique du gouvernement consiste à choisir les termes des négociations et à dire dans le même temps que, s’il n’y a pas d’accord, il y aura de toute façon une loi. Son objectif est d’affaiblir le syndicalisme de lutte des classes. Il veut des interlocuteurs qui signent des accords de régression sociale mais soient en même temps légitimes. C’est pourquoi le débat est tronqué : il reste très centré sur la question des accords signés et sur leur légitimité. Pour les organisations qui ne bénéficient pas de la présomption de représentativité, comme Solidaires et SUD, la question est d’abord celle de la représentativité comme obstacle à l’action syndicale.

Quel est l’objectif de ces organisations non représentatives ?

Faire en sorte que les critères de représentativité ne soient plus un obstacle à leur action. Ces organisations doivent toujours faire la preuve de leur représentativité. Pour cela, il faut qu’elles puissent justifier d’une activité. Or, l’essentiel des moyens de cette activité est déterminé par la représentativité. C’est un cercle vicieux. Tout est réservé aux syndicats déjà considérés depuis 1966 comme représentatifs. De plus, cette présomption est maintenant irréfragable, c’est-à-dire qu’on ne peut même pas en discuter.

Que veulent les organisations déjà représentatives ?

En ce qui concerne FO, la CFTC et la CGC, on peut penser que leur signature de l’accord de régression sociale sur la modification du contrat de travail a un lien direct avec la question des négociations sur la représentativité syndicale qui s’ouvrent aujourd’hui. En effet, pour ces organisations, il s’agit de jouer leur place (FO) et leur survie (CFTC, CGC). Elles ont tout à craindre d’une remise à plat de la situation, parce qu’elles sont extrêmement faibles en nombre d’adhérents et faibles en influence dans beaucoup d’endroits. Elles vivent largement du soutien des pouvoirs publics et des organisations patronales. C’est pourquoi elles donnent des gages de bonne conduite en signant.

Et pour la CGT et la CFDT ?

Nous sommes d’accord avec elles pour dire que les élections professionnelles doivent être le critère de base de la représentation effective des organisations syndicales. Mais nous disons aussi que ce n’est pas le seul outil démocratique possible. On peut envisager, par exemple, des consultations directes des salariés. Et puis ces élections doivent-elles se dérouler sur un ou deux tours ? Et à quel niveau fixe-t-on le seuil de représentativité ? Si l’on dit d’un côté que tous les syndicats peuvent participer aux élections, mais que, de l’autre côté, on fixe un seuil trop élevé, il risque en définitive de ne plus rester que trois syndicats à pouvoir y prétendre (CGT, CFDT, FO). On parle souvent de l’émiettement syndical. Mais c’est d’abord leur incapacité à représenter les salariés et à bénéficier d’un soutien massif de leur part, et non leur nombre, qui est la cause de l’affaiblissement des syndicats.

Temps de lecture : 5 minutes