Kosovo : Le poids des enjeux européens

La province à majorité albanaise de la Serbie devrait proclamer son indépendance avant la réunion européenne du 18 février. Mais les obstacles ne manquent pas.

Marine Raté  • 14 février 2008 abonné·es

Le Kosovo piaffe d’impatience. Les dirigeants kosovars devraient proclamer l’indépendance de cette province serbe à majorité albanaise avant la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne prévue pour le 18 février. En fait, deux obstacles sont venus gripper le mécanisme d’une déclaration unilatérale. Le premier est le désaccord entre Boris Tadic, le président serbe pro-européen récemment réélu, et son Premier ministre, nettement moins « européen », Vojislav Kostunica. Cette crise institutionnelle menace de ralentir le processus de rapprochement entre la Serbie et l’Union européenne. Or, ce processus est l’un des éléments qui devraient conduire les pays de l’Union européenne à reconnaître le Kosovo indépendant.

Le second obstacle réside dans l’incapacité des Européens à adopter sur cette question une position commune. Car, dans cette affaire, comme dans tout le processus de démantèlement de l’ex-Yougoslavie, le rôle des Européens est prépondérant.

Illustration - Kosovo : Le poids des enjeux européens


Dans la ville de Mitrovica, le 8 février. ATANASOVSKI/AFP

Dans un ouvrage au titre éloquent, Yougoslavie, de la décomposition aux enjeux européens, Catherine Samary analyse les conflits issus de la crise yougoslave, non comme de « simples » « haines séculaires interethniques », mais en partie comme le résultat de conflits d’intérêts européens. « Les pages noires du passé et les échecs sont intelligibles et n’impliquent aucune impossibilité de vivre ensemble » , écrit-elle, récusant une grille de lecture souvent privilégiée dans la presse. Le Kosovo n’échappe pas à la règle. Ce sont parfois des rivalités européennes qui rejaillissent sur la région, et l’empressement de certains pays de l’Union à soustraire ces États ou provinces à l’influence russe agit comme un accélérateur de la crise. Aujourd’hui, la majorité des États membres de l’UE, et Washington, considèrent l’indépendance comme souhaitable et inéluctable, tandis que Moscou, allié historique de la Serbie, s’y oppose. Vladimir Poutine brandit la menace de la remise en cause des accords gazier et pétrolier entre la Serbie et la Russie. Le protocole d’accord de prise de contrôle par Gazprom (le géant gazier russe) de l’Industrie pétrolière de Serbie et l’« accord de coopération » intergouvernemental entre les deux pays, pour une durée de trente ans, pourraient être contestés si la Serbie s’éloignait de la sphère géopolitique russe.

Catherine Samary estime qu’au-delà de l’opposition entre Serbes et Albanais, l’ingérence des pays « euroatlantiques » n’a pas permis au Kosovo d’obtenir un statut satisfaisant pour son peuple et les communautés qui le composent. L’auteur critique la vision des gouvernements de l’Otan qui repose, selon elle, sur l’idée que la stabilisation de la région des Balkans ne peut se faire que dans l’Union européenne. C’est d’ailleurs cette vision qui avait conduit à la mise en place du protectorat au Kosovo, en 1999. Les conséquences internes au Kosovo n’ont guère été prises en compte dans le cadre du protectorat. Aujourd’hui comme hier, l’Europe procède selon un objectif de stabilisation des Balkans mais d’un point de vue extérieur. Catherine Samary dénonce l’arrogance des pays de l’UE, qui prétendent diffuser un « modèle consensuel, stabilisé et universel » . Comme si les principes d’une Europe balkanique étaient inévitablement mauvais : « Face à l’échec des régimes de parti unique se réclamant du socialisme, les peuples de l’Europe de l’Est et des Balkans se sont vu offrir le droit d’adhérer à l’Europe avec pour précondition la généralisation des relations marchandes et des privatisations, marqueurs du passage à une économie de marché. »

La hâte des Européens et le caractère exclusif de la solution préconisée par eux laissent de nombreux problèmes irrésolus. Le principal étant évidemment le sort futur de la minorité serbe du Kosovo, dont certains membres menacent de faire sécession. Entre 1999 et 2004, deux cent mille Serbes ont quitté le Kosovo.

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