Les bonnes affaires du CO2

De plus en plus d’offres commerciales proposent à chacun de compenser ses émissions de gaz à effet de serre. Une charte nationale tente de moraliser ce marché dépourvu de règles.

Patrick Piro  • 21 février 2008 abonné·es

Vous possédez une voiture de petite cylindrée, et vous parcourez environ 10000km par an. Le carburant brûlé émet dans l’atmosphère du gaz carbonique (CO2), le principal des gaz à effet de serre: 2,1tonnes d’équivalent carbone [^2], qui contribuent au réchauffement climatique. Certes, de manière minime, comme pour les activités de chacun d’entre nous, face aux 13 milliards de tonnes de gaz à effet de serre émis annuellement par l’ensemble des activités humaines… Mais cela vous chagrine, car vous êtes conscient de vos responsabilités.

Illustration - Les bonnes affaires du CO2


Des voitures repeintes par des militants de Greenpeace, lors du salon automobile de Francfort, en 2007. ORLOWSKY/GETTY IMAGES

Qu’à cela ne tienne, rendez vous dans un magasin Nature et Découvertes: vous pourrez y faire l’acquisition, pour 32 euros, d’un macaron illustré d’un ours blanc (promis à la disparition par fonte de sa banquise) et portant le slogan «véhicule neutre en CO2», à apposer sur le pare-brise. Car 21euros seront investis dans un projet développant des énergies renouvelables, en Chine, au Mexique ou en Érythrée, contribuant à limiter les émissions de CO2 ­ce que devra dûment garantir un organisme indépendant. Votre contribution financière est donc présentée comme une compensation volontaire des émissions de CO2 liées à vos déplacements.

Le même principe est transposable à toutes vos activités émettrices de gaz à effet de serre (chauffage, alimentation, etc.). Environ 4euros serviront à financer Climat Mundi, qui a mis en place ce commerce d’indulgences CO2 (le reste part en fabrication et en TVA). Pour une grosse cylindrée, comptez 70 euros de macaron, à renouveler tous les ans après avoir évalué vos émissions sur le site de Climat Mundi.

On compte en France une dizaine de ces offres de «compensation carbone», un essor très récent puisque la plus ancienne, «CO2 solidaire», est apparue en 2004.

Des compagnies aériennes s’y mettent, proposant à leurs clients de s’acquitter d’une contribution pour «effacer» les tonnes de CO2 émises par leur voyage.

Dans les pays anglo-saxons, de telles offres se comptent par centaines, accompagnées de nombreuses dérives ­voire des arnaques: incohérence des méthodes de calcul des émissions, faible qualité des projets financés, coûts très variables, confusion entre prescripteur et vendeur, compensations de CO2 non garanties, absence de transparence des offres, etc.

Il y a un an, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie(Ademe) s’était inquiétée des risques de discrédit encourus par ce marché naissant dénué d’encadrement ­par la grande hétérogénéité des offres, mais aussi par la confusion des messages. En effet, la compensation volontaire de carbone banalise un «droit à polluer» (il suffit d’y mettre le prix pour avoir la conscience tranquille), qui pourrait se substituer aux efforts de réduction des émissions ­une priorité absolue pour tous les spécialistes.

C’est cette hiérarchie des exigences qu’a voulu affirmer l’Ademe ^3
en publiant la semaine dernière une charte de bonne conduite à laquelle ont travaillé plusieurs opérateurs du secteur. Elle vise à harmoniser les méthodes d’évaluation et de calcul des émissions, à favoriser le financement de projets certifiés (voir encadré), la transparence de l’information, ainsi qu’à rendre publique, grâce à un «bureau de suivi», toute dérive constatée [^4].

Cette charte suffira-t-elle à les éviter? Ainsi, elle proscrit bien toute mention du type «neutre en CO2», sauf si des actions de réduction des émissions sont préalablement encouragées. Une obligation dont le site de Climat Mundi s’acquitte, mais point trop n’en faut: aucun signe de modération de l’usage de la voiture sur ses macarons vendus en magasin. «Un minimum de règles vaut cependant mieux que rien, cela nous permet de faire passer nos messages », juge Isabelle Sannié, économiste à l’Ademe, qui ne redoute pas un débordement de la demande en compensation CO2.

Jusqu’à quand? Porteuse d’image, la pratique connaît actuellement un engouement certain. Essentiellement focalisée sur les émissions de CO2, elle peut conduire à certifier des projets implantés dans des pays du Sud sans considération pour leur intérêt local. Ainsi, des entreprises s’enquièrent régulièrement auprès de «CO2 solidaire»:«Combien ça coûte, pour avoir le droit d’apposer votre logo?» «Nous avons assisté à un pic il y a un an et demi, à la suite du film d’Al Gore. S’il s’avère que leur demande est opportuniste et déconnectée d’une réelle démarche de limitation de leur impact climatique, nous les éconduisons , affirme Thomas Mansouri, chargé de communication à l’association de solidarité internationale Geres, qui gère ce programme, l’un des moins critiquables. Car notre démarche première n’est pas de vendre de la compensation, mais de trouver des cofinancements pour des projets de développement dans le domaine des énergies propres, et dont nous sommes opérateurs.» Jean-Pierre Moussally, du Réseau action climat (RAC), est catégorique: «La compensation ne devrait être qu’un acte ultime, quand toutes les opérations de réduction des émissions ont été engagées auparavant.»

[^2]: Unité de référence pour évaluer l’impact des gaz à effet de serre.

[^4]: via le site .

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes