Solidaires dans la nuit

La Nuit solidaire pour le logement du 21 février a attiré près de 7 000 personnes à Paris. Emblème de cette mobilisation : des couvertures de survie agitées sous le nez du Premier ministre et de sa ministre du logement qui venait de lancer sa maison à 15 euros par jour. Politis.fr revient sur l’événement.

Ingrid Merckx  et  Politis.fr  • 25 février 2008
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Signe d’aggravation ou emblème de circonstance ? Les tentes rouges désormais symboliques de la résistance au sans-abrisme et au mal-logement ont cédé le terrain, pour la Nuit solidaire du logement le 21 février à Paris, aux couvertures de survie. Les manifestants répondant à l’appel des 28 associations organisatrices de l’événement ont déployé au-dessus de leur tête des centaines de pièces argent et or pour former un grand toit collectif place de la République. Cependant que des responsables d’associations montés sur scène lisaient la lettre au premier Ministre expliquant le pourquoi de cette mobilisation.

*« Engagés dans un mouvement interassociatif massif et sans précédent, nous avons contribué aux travaux que vous aviez confiés au député Etienne Pinte. Sur la base conjointe du rapport du Comité de suivi de la loi sur le Droit au logement opposable et du rapport de la Conférence de consensus sur les personnes sans abri, nous vous avons soumis treize axes d’engagements politiques qui répondent à cette double exigence. Ils constituent un socle cohérent d’actions indispensables. Or, les annonces que vous avez faites ne reprennent que partiellement et très insuffisamment ce socle. »
*
D’où cette nuit de solidarité, première réponse à François Fillon de l’interassociatif « déçu » par le plan d’action annoncé le 29 janvier. Une nuit pour réclamer des « nouvelles mesures contre le mal logement » à deux semaines des municipales. Une nuit, surtout, pour marquer l’ampleur prise par le mouvement de lutte contre l’exclusion en ces temps de crise du logement.

« 1800 personnes », annonçait la première dépêche tombée ce soir-là, un peu après 19h, reprenant les estimations de la police. Des chiffres plus que jamais en dessous de la réalité : « 7 000 personnes au moins d’après la Fnars » , ont rétorqué les associations le lendemain, jugeant que si 4 000 personnes avaient signé la lettre-pétition au gouvernement qui circulait, il devait y avoir au moins le double de monde au plus fort de la soirée. Des militants et membres d’associations mais aussi des sans-abris et des mal-logés, des parisiens de passage, des gens du quartier…

Pas vraiment les 100 000 personnes espérées par les Enfants de Don Quichotte. Mais une mobilisation « réussie » pour les 28 associations co-organisatrices, parmi lesquelles la Fondation Abbé-Pierre, le Secours catholique, Emmaüs, les Enfants de Don Quichotte ou ATD Quart-monde. « On est parvenu à faire coexister l’interpellation publique, les témoignages d’exclus, et le côté festif, qui n’est pas non-appréciable » , a résumé Patrick Doutreligne de la Fondation Abbé-Pierre.

Messages et témoignages se sont succédés devant une assistance restée dense avant que, aux environs de 22 heures, la fête prenne toute la place. Entre concerts sur scène et fanfares éparses, bols de soupe et grillades, stands d’associations diffusant informations et pétitions, et manifestants qui improvisaient des mini-happenings autour de la statue principale. Certains étaient venus en famille, des bébés enveloppés dans les couvertures en polyester métallisé s’étaient endormis sur les dos ou dans des poussettes, des enfants improvisaient des concours de sauts sur quelques matelas par terre.

Vers deux heures du matin, d’autres matelas, des sacs de couchage et des tapis de sol ont été distribués à ceux qui avaient l’intention de fermer l’œil quelques heures. À la belle étoile donc, et sans les tentes, que la Préfecture avait interdites, mais avec les couvertures de survie, ces matières efficaces en cas d’hypothermie mais peu appréciées par les sans abri pour dormir parce qu’elles font un boucan d’enfer. Un de ces grands froufrous métalliques qui ont ponctué la soirée du 21 février. 300 personnes, chiffre officiel, se sont finalement allongées pour une courte nuit dans le square situé derrière le stand Emmaüs, qui avait reconstitué, pour l’occasion, un appartement deux-pièces à ciel ouvert. « 600 personnes » , ont corrigé les Enfants de Don Quichotte qui en étaient. Petit déj’ à 6h30, « avant de disparaître dans l’espace public » .

« Franc succès » , a-t-il été répété, en regard du travail collectif préparatoire à l’événement, à la place qui a été faite aux principaux concernés, et à la chaleur des mobilisés. De quoi faire un peu écran à la « poudre aux yeux » répandue par le gouvernement en prévision de cette nuit de solidarité. Le matin même, François Fillon s’était en effet dépêché de nommer son « super préfet pour les SDF et mal logés », première mesure de son plan d’action du 29 janvier. Soit Alain Régnier, qui était jusqu’alors préfet délégué à l’égalité des chances auprès du préfet du Rhône. De son côté, Christine Boutin, ministre du logement, avait présenté sa « maison à 15 euros par jour » dont devrait bénéficier 5 000 foyers d’ici à la fin de l’année. « De quoi rendre possible le rêve de la propriété » , a-t-elle expliqué. Non sans cynisme : à cette France des propriétaires dont rêve le président de la République, 7 000 citoyens solidaires des sans-abri et mal-logés ont répondu en agitant des couvertures de survie. Riposte de flamme pour reprendre du souffle pendant la bataille. Une bataille beaucoup trop longue pour les premiers concernés.

Temps de lecture : 5 minutes
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