« Un engagement existentiel »

Sociologue à l’Inra, Claire Lamine analyse dans un livre* le système des Amap, leur développement et leur rôle politique.

Thierry Brun  • 21 février 2008 abonné·es

Les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) sont à la fois populaires et méconnues, faute de structure nationale. Comment analysez-vous ce fait~?

Claire Lamine~: On ne sait pas combien il existe d’Amap en France, bien qu’on puisse parler, début 2008, d’une fourchette allant de 500 à 700. Quand bien même on prendrait en compte tous les groupes se définissant comme Amap, il se trouverait de nombreux militants pour dire qu’une bonne partie d’entre eux ne sont pas des «vrais~». Derrière un même nom, les modes de fonctionnement sont très divers~: un maraîcher fournit un panier de légumes chaque semaine~; des producteurs fournissent un panier varié~; un éleveur fournit des colis de viande chaque mois, etc. Les modes d’engagement des consommateurs envers les producteurs (et réciproquement) sont également différents. Qu’il s’en crée dans les entreprises ne me semble pas étonnant. Ce sont des endroits où des groupes d’affinités existent, ce qui facilite la création d’un collectif, et les gens s’entendent facilement sur les modalités. On peut voir cela comme une manière de réenchanter la vie au travail, de créer des alternatives dans un espace perçu comme conventionnel ou, au contraire, de renforcer une identité déjà vécue comme novatrice.

Les Amap sont-elles un enjeu pour l’agriculture ?

Les Amap représentent environ un millier de producteurs, soit une très petite part de l’agriculture française, mais non négligeable. C’est une voie possible pour des agriculteurs qui souhaitent sortir des circuits habituels (grande distribution, grossistes). Ce système a-t-il permis de sauver des fermes~? C’est un argument récurrent dans ces réseaux, parfois teinté d’un certain misérabilisme, les consommateurs ne s’intéressant pas toujours de près à l’activité agricole, avec ses contraintes. Mais il est des cas où les producteurs ne se seraient certainement pas maintenus sans l’Amap, peut-être plus d’ailleurs grâce au soutien psychologique et parfois opérationnel des consommateurs que par la vertu du seul système. Mais peut-être que d’autres producteurs auraient continué sans les Amap, par exemple avec les marchés ou la vente à la ferme. On rencontre aussi des producteurs, en particulier des jeunes, qui parviennent à s’installer grâce aux Amap, le préfinancement des paniers leur permettant d’investir dans des moyens de production. Des partenariats intéressants se développent avec des collectivités territoriales qui mettent des terres à disposition des agriculteurs. Enfin, rien n’interdit de penser que des Amap pourraient approvisionner la restauration collective, ce qui permettrait d’intéresser davantage de producteurs, mais supposerait d’autres modes d’organisation pour produire en quantité et régularité suffisantes.

Quel est l’amapien type~?

S’il faut absolument brosser un portrait, ce serait plutôt un couple ayant un ou deux enfants, trentenaire ou quadra, diplômé et citadin. Il y a une grande diversité dans les profils, et on peut supposer, comme pour les consommateurs de bio, que les amapiens se distinguent plus par leur niveau d’éducation que par des revenus élevés. Une chose est sûre, les Amap ne touchent pas les populations les plus défavorisées, et les systèmes de solidarité qui iraient dans ce sens peinent à se mettre en place.

Les Amap ont-elles un avenir comme mouvement politique~?

C’est la question la plus intéressante aujourd’hui. Certes, les Amap n’agissent pas en fonction d’un programme ou d’un modèle de société idéale pour l’avenir mais plutôt à travers des formes de vie et des pratiques immédiates. C’est un type d’engagement que certains qualifient d’existentiel. Pour beaucoup d’amapiens, cet engagement est limité, ce qui ne les empêche pas d’avoir le sentiment de contribuer à un mouvement d’ensemble. D’ailleurs, celui-ci inclut un petit nombre de militants très investis et un grand nombre de participants plus distants, mais qui font masse et donnent sa visibilité au mouvement. Cela dit, cette notoriété serait plus profitable si le mouvement était plus structuré, et moins déchiré par des conflits internes. Ceux-ci portent justement sur cette notion d’engagement et de partenariat, mais aussi sur le choix de s’appuyer sur l’agriculture biologique et la certification afférente, d’instaurer un mode de certification participative ad hoc ou de considérer que la confiance et les liens directs suffisent. Le rôle politique des Amap s’exprime dans des expériences locales prometteuses, par exemple sur le foncier en lien avec des collectivités, ou dans le cadre de débats sur des questions environnementales et de développement, avec d’autres associations. Ce rôle réside aussi dans des influences indirectes, et les Amap ne sont pas étrangères au fait que les structures de développement agricole et local s’intéressent de plus en plus aux circuits courts. Il faut aussi leur reconnaître le mérite d’amener les gens à discuter d’agriculture locale et de système agroalimentaire.

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