Vrais durs, faux caves

Filmés par Julien Samani, trois adolescents s’ennuient entre les tours de La Courneuve.

Jean-Claude Renard  • 14 février 2008 abonné·es

Sur le papier, le projet de départ est modeste : débarquer en banlieue parisienne, à la cité des 4 000 de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, filmer des gamins au milieu de ces cages à poules. Les filmer dans un univers de béton, bitume et parpaings, cages d’escalier et palissades, sous un ciel plutôt gris que cobalt. Réalisateur, Julien Samani a choisi de braquer sa caméra sur trois adolescents. Ils n’ont pas moins encore l’air de mômes. Ils crânent un peu, roulent des mécaniques, jouent les vrais durs et faux caves. Surtout, ils traînent, trimbalent un ennui qui s’accroche à eux. Là-dedans, la quête d’une bécane, et tant qu’à faire, une grosse moto, a valeur d’objectif presque vital. La caméra suit, d’une déroute à l’autre, le temps à passer. À l’écran s’installe le sentiment d’une errance inévitable, d’une certaine vacance. Du vide dans ce plein de béton, ces barres de logements, une cosmogonie déshumanisée. Ça tourne en rond dans un espace qui tourne pas rond. Et pourtant, il faut bien exister.

Sous le titre la Peau trouée , à la manière de Jean Epstein ou de Robert Flaherty, chantres de l’homme pris dans son environnement, Julien Samani avait déjà réalisé (en 2003 et seulement sorti en 2005) un remarquable documentaire sur la pêche aux espadons en mer d’Irlande. Une affaire de lutte entre la nature et l’humanité. Moyen métrage, Sur la piste n’est pas moins remarquable. Une piste sans étoiles. Samani se fait sculpteur du réel. Il entre de plain-pied dans l’univers de ses « personnages ». Avec une caméra mobile, il parvient à livrer la tristesse désolée de ces déambulations au coeur d’un paysage douloureux. Il ajoute une bande son amplifiant les beuglements lancinants des moteurs de bécanes, contrastant avec le silence d’une urbanité froide. Et dans le jeu de proximité, entre le cinéaste et les adolescents, se déploie non pas une certaine complicité mais un accompagnement fidèle. Dans la pesanteur et la grâce. Sans lésiner sur la justesse.

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