Contradiction explosive

Denis Sieffert  • 20 mars 2008 abonné·es

Tous les psychologues ­ même « de bazar » ­ le savent bien : le déni est toujours suspect. Et quand il est trop appuyé, il finit par souligner ce qu’il voulait cacher. Dimanche soir, sur les plateaux de télévision, les représentants de la droite se sont relayés pour illustrer cette donnée de base de la psychologie humaine. « Non, ces municipales n’ont pas de dimension nationale. Ou alors, si peu ! » « Et non, grand Dieu non, il n’y a pas là l’ombre d’une critique adressée au président de la République. » Pour réfuter cette dernière assertion selon laquelle Nicolas Sarkozy pourrait être à l’origine du désastre électoral de la droite, nos choristes ajoutaient comme un supplément d’âme. C’était la mauvaise pensée entre toutes qu’il fallait exorciser. Les autres étaient niées sur un mode plus machinal. « Non, les municipales ne sont pas le troisième tour de la présidentielle. » « Et non, les électeurs ne critiquent pas les réformes du gouvernement ; bien au contraire, ils en redemandent. » À entendre les Xavier Bertrand, Jean-François Coppé, Roger Karoutchi, et autres Rachida Dati repousser ces hypothèses venimeuses avec l’unanimité appliquée d’un politburo au temps d’Andropov, le téléspectateur lambda ne pouvaient que conclure que tant de dénégations devaient cacher des pépites de vérité. Comment nier l’évidence quand ce sont quarante-trois villes de plus de vingt mille habitants qui ont basculé à gauche~? Une bagatelle !

L’argument également ressassé du taux d’abstention, loin d’infirmer la déroute personnelle de Sarkozy, la confirme. C’est une partie des couches populaires qui s’étaient laissées embobiner par le discours populiste du candidat à la présidentielle qui n’est pas allée voter. Du point de vue institutionnel, ce ne peut être une revanche ; tout au plus un regret. Un remords. Et, peut-être, un ressentiment. L’impression très communément partagée de s’être fait flouer. Bien entendu, la droite a beau jeu de faire remarquer que rien n’empêche le Président de poursuivre sa politique. Mais quelle défaite ! Dans une conjoncture de crise économique qui va de plus en plus frapper les classes moyennes, en Europe même, c’est cet homme affaibli, et à la parole décrédibilisée, qui s’apprête à imposer la « contre-réforme » des retraites par l’allongement de la durée du travail, et à attaquer les services publics, c’est-à-dire aussi l’emploi, au nom de l’assainissement des finances de l’État. Une bonne partie de nos confrères, et autres politologues de service dimanche soir, ont d’ailleurs rapidement pris la mesure de la situation. À l’inverse des ministres commis d’office sur les plateaux de télévision, ils ont préféré accabler Sarkozy, l’homme, pour mieux sauver sa politique. Pour eux, cela ne fait aucun doute : c’est son comportement qui a été condamné par les électeurs. Et rien que cela. La faute donc à Cécilia ou à Carla ! Ce sont les mauvaises manières du Président qui ont déplu. La politique, elle, serait plébiscitée. Et le mot « réforme », soumis à tous les sondages d’opinion sans jamais préciser de quoi il s’agit, ferait toujours saliver le chaland. La preuve par Fillon : le Premier ministre, l’homme qui met en oeuvre la politique gouvernementale, continue de côtoyer les cimes de la popularité.

Le quiproquo sur le «pouvoir d’achat» continue d’être savamment entretenu. Là où le peuple entend « augmentations de salaires » et « vie un peu moins difficile », les néolibéraux pensent « déréglementation du droit du travail », stress et « concurrence accrue entre les salariés ». Le double scrutin des 9 et 16 mars a révélé que l’arnaque électorale de la présidentielle ne prenait plus auprès de cette partie de la population qui en sera la victime. Mais la contradiction, à dix mois d’intervalle, entre deux consultations est en elle-même explosive. Elle trouvera, soyons en sûrs, d’autres terrains d’expression. À travers le mouvement social, sans doute. L’impression d’une impasse institutionnelle souligne combien cette présidentielle, qui surdétermine tout, est un piège pour la démocratie.

Le contournement du référendum européen n’a pas non plus arrangé les choses. Ce sont beaucoup plus ces processus de désillusion démocratique qui ont été à l’oeuvre au cours de ces municipales que la conséquence d’un vrai retour de la gauche. Car la gauche socialiste a délivré, elle aussi, son message au cours de ces deux semaines. Elle a fait le choix politique du centre. Cette option a pu parfois être électorale. Mais, dans la plupart des cas, il faut donner à cette inclination un sens beaucoup plus profond. Ce n’est pas l’arithmétique électorale qui commande mais la transformation durable de la social-démocratie en partie de gestion. En soi, ce bilan justifie déjà l’émergence d’une autre gauche, qui a montré cette fois un peu plus que le bout de son nez.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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