Encore un effort !

Le premier tour a été marqué par une indéniable poussée à gauche. Mais il reste encore à l’amplifier pour transformer cet avertissement au gouvernement en vote sanction.

Michel Soudais  • 13 mars 2008 abonné·es
Encore un effort !

Reconnaissons à François Hollande une qualité. Le Premier secrétaire du PS a le sens de la formule. Ainsi a-t-il trouvé les mots justes pour dire que le premier tour des élections municipales et cantonales avait constitué un « avertissement » pour l’UMP, le gouvernement et le président de la République. Et appeler à faire du second tour une « sanction » du pouvoir en place. Car si le scrutin de dimanche dernier traduit une poussée de la gauche, plus timide que la vague rose annoncée par les sondages, celle-ci ne peut pas être considérée encore comme une victoire. D’abord parce que le second tour reste à jouer, qui peut infirmer, simplement confirmer ou amplifier la tendance du week-end. Ensuite, parce qu’une victoire suppose des gains nets en termes de conquête de communes et de départements, mais aussi un minimum d’homogénéité politique.

Illustration - Encore un effort !


François Hollande soutient Philippe Sarre dans sa campagne à Colombes (Hauts-de-Seine), le 11 mars. SAGET/AFP

La poussée de la gauche est indéniable. La ministre de l’Intérieur elle-même estimait dimanche soir cette progression à 2,9 points par rapport à 2001. Une estimation délicate puisque la Cnil empêche de prendre en compte les nuances politiques des candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants, 17 millions d’électeurs étant ainsi réputés émettre un vote « apolitique ». Aux élections cantonales, qui offrent une vision plus nationale, la gauche (sans l’extrême gauche) gagne deux points par rapport à 2001, à 48 %. Enfin, elle gagne plus de villes qu’elle n’en perd. Au soir du premier tour, le PS a ravi neuf villes à la droite : Rouen (Seine-Maritime), Alençon (Orne), Annonay (Ardèche), Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Rodez (Aveyron), Laval (Mayenne), Vitry-le-François (Marne), Bourg-en-Bresse (Ain) et Saint-Benoît (La Réunion). Le PC en a gagné deux : Dieppe (Seine-Maritime) et Vierzon (Cher). Contre deux villes perdues au profit des ministres : Luc Chatel à Chaumont (Haute-Marne) et Laurent Wauquiez au Puy-en-Velay (Haute-Loire).

Si le PS peut être satisfait de la réélection, dès le premier tour, de nombreux élus comme Gérard Collomb à Lyon ­ même si trois arrondissements sont encore en ballottage ­, François Hollande à Tulle, Jean-Marc Ayrault à Nantes, ou François Rebsamen à Dijon, le PCF enregistre aussi de bons résultats, tout comme la LCR et les listes antilibérales dans une moindre mesure (voir p. 5). Il conserve la plupart de ses villes ­ 16 de ses 28 maires sortants dans les villes de plus de 30 000 habitants sont d’ores et déjà réélus ­ et obtient nationalement 8,85 % aux cantonales. « Le PCF est bien la troisième force politique du pays » , clame fièrement Marie-George Buffet, pas fâchée d’oublier le 1,93 % de la présidentielle. Satisfaction aussi chez les Verts, où Cécile Duflot décèle une « petite renaissance » dans les bons résultats des Verts à Nevers (9 %), Valence (19 %), Lille (11,5 %), Grenoble (15,57 %), Quimper (16,80 %), ou Morlaix (25 %). De quoi faire oublier Paris (6,78 %), Strasbourg (6,37 %), Limoges (5, 31 %) ou encore Mulhouse (4,59 %).

Pour autant, la relative bonne performance des ministres candidats limite le reflux de la droite. Sur les 23 en lice, 14 ont été élus ou réélus confortablement ; et seulement 4 abordent le second tour en situation difficile, à des degrés divers : à Périgueux, Xavier Darcos est devancé de peu par un candidat PS, et, à Colombes, la maire sortante UMP Nicole Goueta, qui compte sur sa liste Rama Yade, est en ballottage défavorable, malgré le ralliement du MoDem lundi. Mission impossible enfin à Paris pour Christine Albanel (IVe) et Christine Lagarde (XIIe), toutes deux sur des listes très largement distancées.

« Il s’agit d’un vote-semonce plutôt qu’un vote sanction de la politique gouvernementale » , analyse le politologue Philippe Braud, « un avertissement classique dans le cadre d’élections intermédiaires » . La volonté de sanction est atténuée par deux phénomènes : deux tiers des électeurs affirment d’ailleurs s’être prononcés d’abord et avant tout en fonction d’enjeux locaux ; la prime aux sortants, habituelle dans ce type d’élection, a joué en faveur de ceux qui avaient un bon bilan et ont su maîtriser la division de leur camp. Enfin, deux données nouvelles contribuent à brouiller la lecture du scrutin : l’ouverture des listes à des personnalités n’appartenant pas au même camp que la tête de liste et l’affirmation du MoDem, autonome ici, allié à la gauche là, de la droite ailleurs…

La remontée de la gauche pâtit cependant d’une abstention supérieure à 2001, qui constituait déjà un record dans ce type de scrutin. Près de 4 électeurs sur 10 ne se sont pas déplacés, et c’est l’électorat populaire qui s’est le moins mobilisé. Signe que sa reconquête par la gauche reste un chantier inachevé. Sans celle-ci, il est à craindre que le second tour ne soit qu’une confirmation du premier. Même si les reports de voix des électeurs les plus radicaux sur les listes socialistes seront vraisemblablement favorisés par le souci de sanctionner le gouvernement et Nicolas Sarkozy. De cela dépend le nombre de villes et de départements qui basculeront à gauche. Et la signification politique de ces élections, qui ont aussi un enjeu national méconnu.

Car, sous couvert d’élections «locales», nous élisons aussi indirectement le Sénat de 2008 et 2011, puisque cette assemblée, qui a son mot à dire sur toutes les lois, est élue par un collège composé majoritairement par les maires et des conseillers municipaux. Les électeurs ont ainsi la possibilité, indirecte, de faire contrepoids par les urnes au déséquilibre de la représentation politique actuelle à l’Assemblée nationale. Le rappel de cet enjeu national, qui verra les élus de dimanche prochain influer sur l’équilibre gauche-droite de la représentation nationale, interroge directement le choix de nombreux caciques socialistes de faire alliance au second tour avec le MoDem. Au moment de désigner des sénateurs, les MoDem élus sur des listes PS à Marseille, Poissy, Chartres, Melun ou ailleurs éliront-ils des candidats de gauche ? Ou voteront-ils comme les MoDem élus sur des listes de droite ?

Depuis plusieurs mois maintenant, le socialisme a été laissé aux bons (et souvent mauvais) soins des élus locaux. Hors de toute stratégie et ligne nationale, chacun a été laissé libre par une direction en fin de règne de faire sa petite tambouille dans sa petite gamelle. C’est ainsi que, dès le premier tour, certains ont cru bon d’ouvrir leur liste aux amis de François Bayrou, voire à des sarkozystes. Ce mouvement s’est amplifié cette semaine avec les fusions de listes [^2]
et le feu vert de Ségolène Royal à ces combinazione . Certains s’y sont refusés au nom de la clarté. C’est le cas du socialiste Alexandre Medvedowski, qui conduit une liste de large union de la gauche à Aix-en-Provence ( Politis n° 992). Mais le refus quasi général de fusionner « techniquement » avec les listes conduites ou soutenues par la LCR indique où portent les vents dominants au sein du PS.

C’est regrettable. Quand on demande aux électeurs de sanctionner le gouvernement, on n’ostracise pas des candidats d’accord avec cet objectif, pour d’autres aux convictions moins assurées.

[^2]: À l’heure où nous bouclions ce journal, il était encore difficile d’avoir un tableau complet des fusions acceptées et refusées. Pour une actualisation, rendez-vous sur le blog des rédacteurs de Politis ().

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