Esther et Halima

« Dans la vie », de Philippe Faucon, raconte avec sensibilité l’histoire d’une amitié naissante entre deux vieilles femmes, l’une juive, l’autre musulmane.

Christophe Kantcheff  • 13 mars 2008 abonné·es

C’est l’histoire, à Toulon, d’une vieille handicapée juive d’Oran, Esther, qui se lie d’une profonde amitié avec une autre femme âgée, Halima, musulmane pratiquante et algérienne. Résumée ainsi, l’intrigue de Dans la vie , de Philippe Faucon, pourrait laisser entrevoir un film lourdement consensuel sur la réconciliation des cultures, dont les bonnes intentions auraient de quoi faire fuir. Mais ce serait méconnaître un cinéaste qui, de Mes 17 ans ou Grégoire peut mieux faire, réalisés pour Arte, à Samia et, dernièrement, la Trahison , s’est imposé sans bruit parmi les réalisateurs français les plus talentueux.

Il n’empêche que Dans la vie ne laisse de surprendre. D’abord par sa capacité à embrasser nombre de questions auxquelles doit faire face la société française. Le film commence ainsi avec Sélima, la fille d’Halima, une jeune infirmière que l’on voit d’abord confrontée au racisme d’un patient puis aux réprimandes de sa tante et de sa cousine voilées, qui ne la trouvent pas assez musulmane. Les problèmes que posent la vieillesse et le handicap d’Esther, prise en charge par son fils médecin, sont aussi évoqués d’emblée, quand Sélima devient son infirmière de jour. Dans la vie ne recherche pas l’exhaustivité sociologique. Mais il n’élude rien. Et la précision avec laquelle il dessine ce contexte souligne le caractère « enchanté » de ce qui va se jouer entre Esther et Halima.

La seconde, par l’intermédiaire de sa fille Sélima, vient travailler comme garde-malade auprès de la première. Esther est une femme difficile, au caractère âpre et soupe au lait. Halima n’est, elle, pas forcément bien disposée envers les Juifs ­ devant son téléviseur, qui diffuse des images de la guerre du Liban alors en cours, elle fulmine. Mais quelque chose qui dépasse les préjugés et les généralités va s’instaurer entre les deux femmes. Elles vont à la fois se découvrir dans leurs différences, et se reconnaître dans leur proximité ­ qui vient notamment de leur origine algérienne commune, mais aussi de leur âge et de leur force de vie.

Philippe Faucon a choisi deux comédiennes non professionnelles pour interpréter Esther et Halima, Ariane Jacquot et Zohra Mouffok. Elles sont particulièrement touchantes et convaincantes (de même que Sabrina Ben Abdallah en Sélima). Il y a dans la manière du cinéaste une délicatesse qui transparaît aussi dans son récit par ellipses, et une confiance envers ceux qu’il filme, qui témoigne d’une générosité, partagée par les comédiens.

Par certains aspects, Dans la vie peut faire songer à la Graine et le mulet . Par le travail sur les langues usitées, ici le français se greffant à l’arabe. Ou à cause d’une séquence de danse du ventre, esquissée dans le film de Philippe Faucon par une femme mûre, devant des copines de son âge, dans ses vêtements ordinaires, et sans qu’aucun suspense narratif ne vienne rehausser l’intérêt de la scène. Et pourtant, là où, dans la Graine… , le volontarisme et le recours au cliché laissaient sceptique, ici, la grâce, née d’éléments ténus, émerveille.

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