Flambée des prix et concurrence

Liêm Hoang-Ngoc  • 13 mars 2008 abonné·es

Entamé par la rigueur salariale, le pouvoir d’achat subit aussi les effets de l’inflation des produits du panier de la ménagère. Les prix dans la grande distribution ont augmenté en moyenne de 29% depuis le passage à l’euro. Les marges des grandes enseignes se sont accrues de 3% entre 1996 et2004. Les grands industriels de l’agroalimentaire qui les fournissent ne sont pas en reste. Leurs marges se sont accrues de 5 points de 1996 à 2004. Mais c’est au cours de ces trois derniers mois que l’inflation dans la grande distribution a flambé. La hausse des prix a atteint 40% pour certains produits laitiers et marques de pâtes. Face à cette flambée des prix, le gouvernement s’en tient à prêcher la concurrence dans la foulée des recommandations du rapport Attali. Or, le monde moderne n’a rien du modèle de concurrence parfaite rêvé par les libéraux du siècle dernier. Les réseaux de grands distributeurs jouissent d’une rente liée à la double domination qu’ils exercent sur les petits producteurs et sur les consommateurs.

Premièrement, sixcentrales d’achat se partagent 85% du marché. Elles sont en situation de quasi-monopole ou d’entente oligopolistique face à la multitude des consommateurs sur 630 marchés locaux bien délimités. Sur 65% de ces marchés, l’une des grandes enseignes est en situation de monopole. Dans 25% des cas, une situation de duopole prévaut. Seuls 15% de ces marchés sont à peu près concurrentiels.

Deuxièmement, les grands distributeurs font face à quelques multinationales de l’agroalimentaire et à une multitude de petits producteurs locaux. La loi Galland entendait protéger ces derniers en fixant un seuil en dessous duquel la revente à perte est interdite, celui-ci excluant les «marges arrière». Celles-ci sont des commissions versées par les fournisseurs aux distributeurs en contrepartie de la promotion de leurs produits. Seuls les industriels de l’agroalimentaire sont en mesure de payer ces imposantes «marges arrière» aux distributeurs. Ils fixent alors des prix élevés pour pouvoir souscrire à leur versement, tout en accroissant leurs marges. Les petits producteurs locaux ne disposent naturellement pas du même rapport de force pour fixer leurs prix, ni de la même capacité financière pour acquitter des «marges arrière».

La suppression de la loi Galland, proposée par Jacques Attali et revendiquée par Michel-Édouard Leclerc au nom de la mise en concurrence des producteurs pour obtenir des prix plus bas, condamnerait nombre de petits producteurs qui vendent déjà à perte. Pour l’heure, la loi Chatel est un compromis qui maintient un seuil de revente à perte avec déduction des «marges arrière» des prix d’achat des distributeurs… qui n’ont toujours pas répercuté sur leurs prix la déduction de 20%, déjà autorisée par la loi Dutreil de 2002…

Enfin, «libéraliser» les implantations de grandes surfaces en ville, comme le propose Attali, pourrait tuer définitivement le petit commerce, sans nécessairement provoquer une baisse des prix. Pour autant qu’elle soit souhaitable, l’ouverture à la concurrence dans la distribution risque, au contraire de l’objectif recherché, d’accroître le pouvoir du loup dans la bergerie. Elle paraît illusoire, compte tenu des ententes oligopolistiques constituées aussi bien du côté des fournisseurs que des grands distributeurs. Le géant américain Wall Mart, un temps tenté de pénétrer le marché français, a lui-même renoncé, faute de place.

Dans l’immédiat, pour contrecarrer franchement la baisse du pouvoir d’achat, la hausse des salaires et la baisse de la TVA sont des mesures d’urgence. Malheureusement, le gouvernement ne donne aucun signal dans cette direction. Il continue de fustiger les 35heures en exhortant à travailler plus pour gagner plus. Les salariés du public vont encore perdre du pouvoir d’achat. Leurs salaires n’augmenteront que de 0,5% en mars et de 0,3% en octobre, soit 0,56% en moyenne annuelle alors que l’inflation officielle flirte avec les 3%. Ces piètres augmentations serviront de référence dans le privé, où les syndicats affaiblis n’obtiendront guère mieux.

Toutefois, la dégradation des salaires est telle que certaines entreprises, face à la résurgence de conflits, commencent à renouer avec la bonne vieille augmentation générale indexée sur l’inflation et les gains de productivité. Certaines négociations de branche ont fini par accoucher d’un relèvement des minima hiérarchiques, entraînant l’augmentation des salaires de tous les échelons de la grille. Le législateur dispose des moyens pour étendre de tels accords. Le gouvernement pourrait aussi baisser la TVA. Il a sans doute écarté cette voie parce qu’il projette de baisser l’impôt sur les sociétés. En outre, l’hypothèse d’une hausse de la TVA pour financer la Sécurité sociale n’est pas encore exclue, le rendement d’un point de TVA étant de 6 milliards d’euros.

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