Israël et la vérité de l’Histoire

Dans un ouvrage de synthèse, Dominique Vidal souligne l’apport des « nouveaux historiens » et revient sur les enjeux politiques de leurs révélations.

Denis Sieffert  • 13 mars 2008 abonné·es

Pour qui souhaite disposer d’une synthèse des travaux des nouveaux historiens israéliens, conseillons cet ouvrage pédagogique de Dominique Vidal, journaliste bien connu du Monde diplomatique , et historien. Le lecteur y prendra la mesure de la révolution intellectuelle et morale provoquée par cette génération d’historiens. Vidal cite quelque part la phrase édifiante d’un haut responsable du ministère israélien des Affaires étrangères : « Le gouvernement d’Israël doit nier toute responsabilité […]. L’accusation selon laquelle ces Arabes ont été chassés de force par les autorités israéliennes est totalement fausse. Au contraire, tout a été fait pour prévenir cet exode. » Ces mots, écrits en juillet 1948, donnent le ton d’une histoire officielle qui n’a guère évolué depuis. Ainsi, quelque 800 000 Arabes palestiniens auraient quitté de plein gré leurs villages entre l’annonce du « plan de partage », le 29 novembre 1947, et l’armistice du 20 juillet 1949.

La première brèche dans le récit officiel a été provoquée par le livre fondateur de Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem , paru en 1988. Ville par ville, village par village, Morris y réfutait la thèse du départ volontaire. Sur les 369 agglomérations recensées, au moins 228 avaient été la cible d’assauts de troupes juives. Dans d’autres cas, la population avait cédé à la panique après avoir eu connaissance des conditions d’expulsion de villages voisins.

Le massacre de Deir Yassine (254 morts), en avril 1948, n’est plus, dans ces conditions, un « accident » de l’histoire. C’est à la fois, comme le souligne Vidal, « l’exception et la règle » . L’ampleur de la tuerie visait bel et bien à provoquer une onde de terreur sur les autres villages. De plus, elle n’est pas seulement l’oeuvre des « extrémistes » de l’Irgoun ou du Lehi, comme tentera de l’accréditer l’histoire officielle ; elle est aussi planifiée et voulue par la Hagana, troupe officielle de l’Agence juive. Peu à peu, les nouveaux historiens mettront au jour d’autres massacres qui confirment que Deir Yassine s’inscrivait bien dans une stratégie. Cette question de la « stratégie », ou, pour le dire en termes juridiques, de la « préméditation », est d’ailleurs au coeur du livre de Vidal, comme elle est au coeur des travaux des nouveaux historiens. Car, si l’histoire officielle a parfois dû céder sous les coups de boutoir des nouveaux historiens, c’est pour reconnaître des « bavures », en niant toujours avec force le caractère programmé de la violence et de l’expulsion. Mais la révélation, notamment par Benny Morris, du Plan Dalet d’avril 1948 fait de David Ben Gourion le « grand expulseur ». « L’essence du plan , rappelle Morris, était de nettoyer le territoire futur de l’État juif de toutes les forces hostiles ou potentiellement hostiles. »

En Israël, peut-être encore plus qu’ailleurs, l’histoire et la politique sont étroitement mêlées. Ne serait-ce que parce que l’histoire n’est jamais très ancienne. Les révélations des nouveaux historiens n’ont donc pas tardé à provoquer un violent contre-feu. Benny Morris n’y résistera pas. Ilan Pappé, au contraire, fera front. Il développera même « le paradigme du nettoyage ethnique » (voir l’article de Nadine Picaudou). Le moindre mérite de Vidal n’est pas de nous restituer clairement les termes et les enjeux de cette bataille politique qui évolue rapidement dans l’opposition « sionisme/post-sionisme ». Ceux qui se définissent comme post-sionistes, comme l’historien Shlomo Sand, estiment que le sionisme n’a plus de raison d’être à partir de la création d’Israël, le 15 mai 1948. Ceux-là refusent surtout le chantage qui consiste à étouffer la vérité au prétexte qu’elle mettrait en cause l’existence même d’Israël.

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