Jusqu’au sang

« Se mordre » : une pièce étonnante de Pierre Notte
sur le double et la sororité.

Gilles Costaz  • 13 mars 2008 abonné·es

Pour représenter l’enfermement, mental et physique, rien de mieux qu’une cave. C’est ce type de lieu qu’occupe la jeune compagnie Allotrope, c’est-à-dire la seconde salle du théâtre des Déchargeurs, une sorte de miniboîte de nuit où le metteur en scène Lahcen Razzougui place et guide ses deux actrices sur un étroit périmètre. Se mordre met en jeu la relation complexe de deux soeurs, inséparables, emportées par l’amour et l’envie de blesser son double pour mieux tenter de le sauver. « C’est l’étude d’une sorte de criminalité : le mal fait à l’autre, comment cela se peut, et comment cela se fait, mettre l’autre à mal, comme manière d’être ensemble » , dit l’auteur, Pierre Notte.

Les deux jeunes femmes tournent sur place, cabriolent, se frôlent, se touchent. Elles parlent d’un monde dont on ne sait s’il est vrai ou imaginaire. Leur père est ailleurs, dans la maison, mort. Elles disent s’en débarrasser. Elles veulent partir et elles font du surplace. L’une se mord jusqu’au sang, empourpre ses lèvres… Y aura-il un dénouement, comme elles le disent ? Sans doute pas. Leur amour-haine est une machine infernale.

Cette pièce, qui fait penser aux Bonnes de Genet, mais qui, avec plus de causticité, porte sur la sororité, l’attirance folle de deux soeurs, a une belle histoire. Elle a été écrite, dans une première version, pour une élève d’une classe du lycée de Viry-Châtillon où Pierre Notte favorise la pratique amateur. Celle-ci, Caroline Marchetti, devenue apprentie comédienne au cours Florent, la monte dans sa classe. Puis, actrice professionnelle, elle demande à Notte des modifications pour jouer Se mordre avec une partenaire, Flavie Fontaine. Voilà qui est fait. Flavie Fontaine et Caroline Marchetti y sont fascinantes. Troubles, nerveuses, étranges, mobiles, elles passent sans cesse de la différence à la ressemblance, de l’éclat au retrait. Et tout ça au service d’un texte qui n’est pas une ébauche mais une vraie plongée dans un vertige humain.

Culture
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