Le salon de la controverse

Christophe Kantcheff  • 13 mars 2008 abonné·es

Y être ? Ne pas y être ? La polémique sur le boycott du Salon du livre 2008, qui se tient du 14 au 19mars à la porte de Versailles, n’a cessé de prendre de l’ampleur ces dernières semaines. Une polémique à laquelle l’organisateur et «propriétaire» du Salon, le Syndicat national de l’édition (SNE), a fait face avec une témérité tempérée: «Ce n’est pas Israël que nous invitons, mais la littérature israélienne…» , s’est-il défendu. Déclaration qui «oublie» que la manifestation sera inaugurée en grande pompe par Nicolas Sarkozy et son homologue israélien, Shimon Peres, et renie le principe même du Salon du livre, qui consiste à inviter un pays différent chaque année.

Principe problématique au demeurant, puisqu’il porte en soi la confusion des genres entre le politique et le littéraire, et l’instrumentalisation du second par le premier.

C’est donc bien Israël, dont le 60e anniversaire de la création est célébré cette année, qui est à l’honneur à travers ses écrivains invités. Mais quel visage allait offrir ce pays à ses hôtes français ? S’agirait-il d’un Israël ouvert, désireux de dialogues véritables, admettant le questionnement sur son histoire et la remise en cause de sa politique, ou bien un État soucieux de contrôler les limites de la critique qu’il suscite?

La réponse tient dans le critère de sélection des 39 écrivains conviés (c’est-à-dire pris en charge financièrement par le Salon), l’usage de l’hébreu, qui ignore la diversité de la littérature israélienne, et en particulier celle qui s’exprime en arabe, deuxième langue officielle du pays. Comme le souligne Amotz Giladi (voir ci-contre), «un critère politique est sous-jacent au critère linguistique» . Propos conforté par la déléguée générale du SNE, Christine de Mazières, qui a confié au Journal du dimanche , dans son édition du 9mars, que ce choix de l’hébreu «a été fait par le Quay d’Orsay, le ministère de la Culture à travers le Centre national du livre, et l’ambassade israélienne à Paris» . «Nous n’avons pas à nous ingérer dans le choix de la diplomatie des deux pays» , a-t-elle ajouté.

Enfin, à cette lourde erreur, sinon faute, dont la Ligue des droits de l’homme a demandé la réparation par l’invitation, «de toute urgence» , d’écrivains israélo-palestiniens s’exprimant en arabe, se sont ajoutées les circonstances du pilonnage de la bande de Gaza au terrible bilan: plus de 125morts en une semaine.

Dès lors, quoi d’étonnant à ce que la plupart des États arabes (Liban, Arabie Saoudite, Yémen, Maroc, Algérie, Tunisie…), ainsi que l’Iran ou l’Union des écrivains palestiniens, appellent au boycott ? Cependant, à titre personnel, certains écrivains arabes iront au Salon. Comme Alaa el-Aswani, l’auteur égyptien de l’Immeuble Yacoubian , qui entend y distribuer, en silence, «des photos d’enfants palestiniens ou libanais victimes de la politique israélienne» .

Y être ? Ne pas y être ? Le débat divise les écrivains et les intellectuels israéliens. Amos Oz se distingue en ayant recours à un argument douteux: «Ceux qui appellent au boycott ne s’opposent pas à la politique d’Israël mais en fait à son existence» , a-t-il déclaré le 10mars à l’AFP. Aurait-il tenu le même discours face à son compatriote Aaron Shabtai, poète initialement invité mais qui a décliné par cette fin de non-recevoir: «Je ne pense pas qu’un État qui maintient une occupation, en commettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d’être invité à quelque semaine culturelle que ce soit. Ceci est anticulturel; c’est un acte barbare travesti de culture de façon cynique. Cela manifeste un soutien à Israël, et peut-être aussi à la France, qui appuie l’occupation. Et je ne veux pas, moi, y participer» ? De même, l’historien Ilan Pappé, convié par les éditions La Fabrique à participer à des débats critiques dans le cadre du Salon du livre (voir p.20), a décidé de ne pas faire le déplacement. Ce qui n’est pas le cas de la journaliste d’ Haaretz Amira Hass, ni de Jamal Zahalka, député à la Knesset, secrétaire général du parti Balad, qui estiment que leur prise de parole sera plus efficace dedans que dehors.

Là est la véritable ligne de partage qui sépare les tenants du boycott et ceux qui se rendront au Salon du livre dans une perspective critique. Entre question de principe et souci tactique, les arguments sont recevables de part et d’autre. Et le choix ne relève, en fin de compte, que de la conscience de chacun.

Culture
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