Les deux Palestine

Hubert Haddad joue sur l’identité de deux héros qui n’en font qu’un, l’Israélien et le Palestinien.

Laura Alcalaï  • 6 mars 2008 abonné·es

C’est sous le signe de la fraternité douloureuse qu’Hubert Haddad place son dernier roman, Palestine . Son héros est tout à la fois Cham, soldat israélien, et Nissim, résistant de la cause palestinienne. Et son sujet, le passage d’un monde à l’autre sur un territoire violé dans son intimité historique et géographique par l’occupation. Ces deux mondes, l’auteur les décrit dans cette langue poétique qu’on lui connaît : « Sur les tertres et les bosses fondus dans la buée de l’air, à peine distinctes des cortèges de mules et des troupeaux d’ovins, surviennent et s’effacent des vestiges d’églises ou de forteresses […], des villages encore, concrétions argileuses en prolongement d’antiques décombres ; et soudain, tranchés dans l’azur, les blocs massifs d’une cité coloniale en expansion […]. L’autoroute s’élargit bientôt entre deux haies de barbelés. » C’est dans ce paysage brisé que son héros, « pris de vertige […], chancelle et s’écroule ». Lorsqu’il se relèvera, sous le regard plein de tendresse et de crainte d’une veuve palestinienne et de sa fille, Cham sera devenu Nissim.

Deux identités dont la porosité fraternelle ne fera qu’un seul être : mais « qui est-on sans mémoire ? » Et « quelle vie tremble derrière la vie ? », demande Haddad. Confronté à la violence, Cham/Nissim n’a plus d’existence réelle. Seul l’amour pourrait le sauver. Mais même cet amour lui est enlevé. Celui de sa «~soeur~» palestinienne qui disparaît dans la violence des destructions, comme celui de son frère israélien, vaincu par ses démons intérieurs. Si la seule issue à la folie du monde reste de tuer ou d’être tué, certains choisiront dans « le silence rentré du désespoir » la mort et la malédiction. Le voyage de Cham/Nissim d’un bord à l’autre, d’une identification meurtrière à l’autre, ne lui aura laissé que le goût amer de la perte du sens. Pour certains, l’indifférence est impossible, et « l’étrange inhumanité des choses » inacceptable. Ainsi en est-il de l’auteur, dont le roman interroge autant les origines que le devenir, le désespoir que l’espoir. Profonde et poignante réflexion sur l’humanité. Vraie et magnifique littérature de l’engagement.

Culture
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