Les otages sacrifiés

Retour sur les circonstances de la mort du numéro deux des Farc et ses conséquences sur le sort d’Ingrid Betancourt.
Les États-Unis sont-ils impliqués dans l’opération ?

Claude-Marie Vadrot  • 13 mars 2008 abonné·es

L’ambassadeur de France en Équateur l’a laissé entendre quelques jours après la mort de Raul Reyes, le numéro deux des Farc : Paris savait que le négociateur des rebelles avait établi un camp provisoire en territoire équatorien, en contact étroit avec la France et les gouvernements équatorien et vénézuélien. Tout simplement parce que la libération d’Ingrid Betancourt et de dix autres otages était imminente. Le détachement présent sur le territoire équatorien, expressément autorisé par les émissaires du président Rafael Correa, avait pour tâche d’organiser le transfert depuis cette zone frontière, la précédente libération ayant été jugée trop périlleuse pour les guérilleros colombiens. Et, surtout, Raul Reyes, responsable de la communication de la guérilla, souhaitait changer d’interlocuteur, les interventions d’Hugo Chavez risquant de remettre en cause l’éventuelle libération des membres des Farc emprisonnés en Colombie. C’est ce qu’auraient rapporté aux services spéciaux équatoriens deux membres des Farc, qui confirment que des éléments équatoriens armés avaient fourni une aide logistique permettant à la guérilla d’installer un poste de commandement et de communication provisoire. Ces deux rescapés ont été mis en sûreté dans les environs de Quito, la capitale du pays.

Ce sont ces deux soldats qui ont décrit la précision de l’attaque qui a détruit le camp, attaque à laquelle ils ont échappé parce qu’ils s’étaient éloignés de quelques centaines de mètres ; ils ont raconté que cinq bombes ont frappé simultanément la vingtaine d’hommes qui y vivaient depuis quelques jours. Les sources auxquelles Politis a pu avoir accès tendent à prouver que ces projectiles n’ont pas été lancés par des avions colombiens mais par des appareils américains volant à haute altitude. Probablement des projectiles décrits comme des « bombes intelligentes ». Celles-ci ont été guidées par le faisceau d’ondes émis par l’un des téléphones satellites utilisés par Raul Reyes. Ayant réussi à se procurer quelques jours auparavant le numéro de cet appareil, et en accord avec le gouvernement colombien, les responsables américains ont estimé nécessaire de mettre un terme à la négociation qui était sur le point d’être finalisée, la libération d’Ingrid Betancourt étant programmée pour le 8 mars, Journée internationale des femmes.

L’objectif de cette attaque, toutes les informations et les indices l’indiquent, était de remettre en cause la libération d’une otage médiatique, libération qui aurait redoré la réputation d’une guérilla en perte de vitesse sur le plan militaire comme sur le plan de sa réputation internationale. La mort, vendredi 7 mars, d’un autre dirigeant des Farc, Yvan Rios, ne peut qu’accentuer la tentation de repli et de jusqu’au-boutisme des guérilleros. D’autant plus que le décès de ce second responsable s’est déroulé dans des conditions mal éclaircies. Et Rios avait été pendant plusieurs années un partisan actif des négociations, il secondait souvent ­ de nombreux émissaires s’en souviennent ­ le numéro deux des Farc dans ses contacts avec l’extérieur.

Si ces deux opérations ont été concertées, il est évident qu’elles visaient à affaiblir la fraction des guérilleros désireux de sortir de l’impasse dans laquelle les a poussés la politique de prise d’otages, qu’ils soient militaires ou politiques. Quoi qu’il en soit, la « réussite » est totale, et, en ce début de semaine, les négociateurs français, équatoriens et vénézuéliens avouent qu’ils ont perdu tout contact avec le « secrétariat » des Farc.

La «réconciliation» aussi spectaculaire qu’éphémère survenue au sommet latino-américain de Saint-Domingue samedi entre les présidents colombien, vénézuélien et équatorien ne masquera que provisoirement les divergences entre les trois pays. Le président Correa ayant bien vite oublié ce qu’il déclarait publiquement au lendemain de la mort de Raul Reyes : « Regardez la bassesse d’Alvaro Uribe, il savait qu’en mars douze otages allaient être libérés, parmi eux Ingrid Betancourt. Il le savait, et il a utilisé ses contacts pour monter ce traquenard et faire croire au monde qu’il s’agissait de contacts politiques, et pour lancer un écran de fumée sur son action injustifiable. »

Ingrid Betancourt et les autres otages risquent de payer cher une « coopération » entre les gouvernements américain et colombien, qui fait bien peu de cas de la vie des hommes et des femmes.

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