Ondes positives

Radio associative et indépendante, Jet FM défend en Loire-Atlantique une mission éducative, culturelle et sociale. Portrait de cette intrépide
à l’occasion du festival des écoutes sonores et radiophoniques, Sonor.

Jean-Claude Renard  • 13 mars 2008 abonné·es

Ca a débuté comme ça. En avril 1986. Patrick Guérin confectionne un émetteur, jongle avec des composants de récupération, s’amuse de tasseaux en guise de mât, plante une antenne dipôle avec des tuyaux de cuivre. Et se cale au-delà du 105 MHz. Bric et broc. Apprentissage et premiers pas. L’émetteur chauffe, dérive, retors. Et recours au sèche-cheveux pour ventiler au mieux. Au bout des grésillements, un nom de baptême : Radio parpaing. Rien de moins qu’un clin d’oeil parodique à une pub courant alors sur France Inter.

Illustration - Ondes positives


Le Lieu unique, dans les anciennes usines Lu, accueille le festival Sonor, coproduit par Jet-FM. LOIC/AFP

Radio parpaing se veut une antenne de quartier, au rôle pédagogique, éducatif, brassant le mélange des genres et des générations. Pour un coup d’essai par un novice, c’est un coup récompensé. Une subvention est allouée pour l’acquisition d’un authentique émetteur et d’un véritable dipôle. En route pour l’infini, en pays nantais. Dans l’année qui suit, Radio parpaing se mue en Fun FM, se déplace sur le 93,3 MHz. Elle émet tous les jours. Des projets éducatifs se développent dans les quartiers de la Bernardière, la Rabotière et les Crépinais. La petite radio s’enhardit et Fun FM devient Jet FM sur le 91,2.

Aujourd’hui, installée dans un centre socioculturel au sein d’un quartier sensible de Saint-Herblain, à quelques encablures de Nantes, arrosant le département de Loire-Atlantique, Jet FM possède une grille de programmes, émet vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Budget : 170 000 euros (où s’additionnent les municipalités de Saint-Herblain et de Nantes, le Fonds de soutien à l’expression radiophonique et la Région). Effectif : quatre salariés et une soixantaine de bénévoles. Mieux encore : une politique éditoriale définie, que défend son chargé de projet, Loïc Chusseau : « On n’est pas là pour rester dans le cadre traditionnel des médias. Jet FM est d’abord une radio associative, portée par ses salariés et ses bénévoles, ces derniers assurant 30 à 40 % des programmes, tous soucieux d’informer, de cultiver, d’apporter un autre regard sur le monde contemporain, sans être élitiste. Nous avons la pédagogie pour mission, sans s’épargner de créativité, entre poésie, reportages et documentaires, notamment avec les scolaires de l’agglomération nantaise. On est acteur culturel, et acteur social. »

Un rôle précisément tenu par Pascal Massiot, rédacteur en chef de Jet FM, l’oeil aux aguets sur les émergences, les alternatives. Une ligne éditoriale distincte à travers l’émission phare de la radio, «~le Magazine d’information~», avec des disques et des invités («~Midi »), tous les jours en semaine, entre 12 h et 18 h. Autour de Pascal Massiot, se bousculent sans cohue diverses chroniques animées par des experts, des universitaires, des militants : « Comment vont les fourmis », sur les thématiques de l’économie solidaire, des scops à l’insertion ; la culture scientifique (le chiffre zéro, l’application médicale, les cartes géologiques, les chiffres premiers) ; la bande dessinée ; l’environnement ; les sans-papiers, avec le collectif Enfants étrangers, citoyens solidaires… À l’évidence, une fibre sociale et culturelle, à l’image des autres programmes : « Arabesque » et « Syrinx », deux rendez-vous avec la culture orientale, « le Thermogène », rencontre poétique ; « Eros damned », au titre suffisamment évocateur ; « Travelling avant », consacré au cinéma ; « Chemins d’Afrique », orchestré par l’association Congo intervalles… Un arc-en-ciel de réflexions, d’engagements, d’actions, et dont le leitmotiv serait la curiosité.

Surtout, la radio ne serait pas la radio sans programmation musicale. Ce dont se charge Henri Landré avec quelques idées bien en place : « C’est un travail en mouvement. Je ne cherche pas à développer un genre mais à comprendre les systèmes musicaux. Je collabore ainsi avec les petites structures plutôt qu’avec les grosses compagnies de disques, en privilégiant les liens directs avec les artistes. » Un but alors, sortir de l’actualité imposée, généralisée. « C’est-à-dire regarder en arrière, mais écouter aussi ce qui vit et vibre aujourd’hui, demeure plus ou moins méconnu. » Aux classiques remis en lumière, Henri Landré ajoute des partitions actuelles. Un véritable maelström. Le Köln Concert de Keith Jarrett côtoie la Messe pour le temps présent de Pierre Henry, les titres de Neil Young frayent avec Bonnie Prince Billy, Arvo Pärt, Sylvain Chauveau et Aphex Twin.

Àécouter de près, et même de loin, on observe combien la pratique vise une certaine fluidité, l’enchaînement des programmes sonores, en tenant compte de la partie rédactionnelle. La programmation se veut narrative, avec un principe : ne rien s’interdire. Surtout, poursuit Henri Landré, « rien n’est innocent, et il ne doit en aucun cas s’agir de robinet musical ou de remplissage, comme c’est souvent le cas sur les réseaux commerciaux qui diffusent de la musique par ordinateur sans réflexion préalable. Il s’agit avant tout d’être curieux, et de susciter cette curiosité en retour chez l’auditeur. Les contraintes ne doivent être dictées par aucun élément extérieur, médiamétrie, sondages, panels, pressions commerciales, pour plus de liberté et pour offrir le plus de propositions possible aux auditeurs » . Au-delà de son rôle de programmateur, Henri Landré tient aussi son émission, « Tutto per tutti », une heure d’humeurs le samedi, sémillante « auberge espagnole en forme de corne d’abondance, de l’intime à l’extime » .

Jet FM, la radio qui ne fait pas que de la radio : cette dernière semaine, du 5 au 9 mars, elle a conjugué ses moyens à l’association Histoire d’ondes pour la troisième édition du festival des écoutes sonores et radiophoniques (Sonor). Histoire d’ondes, non sans hasard. C’est aussi le titre d’un magazine journalistique tourné sur le monde de Jet FM. Du magazine est née l’association éponyme, qui a créé Sonor. Le festival est réparti en quatre lieux : le Lieu unique, dans les fameuses anciennes usines Lu, le Cinématographe et le 15 bis à Nantes, la Barakason à Rezé. Au programme, cinq jours de direct, avec « Midi » de Pascal Massiot, diverses balades sonores, un forum sur la notion de territoire dans la création sonore, une carte blanche à Christian Sebille (directeur du Centre national de création musicale à Reims), la projection de Chomsky et Cie , d’Olivier Azam et Daniel Mermet, une causerie sur le journalisme au service public (ou ce qu’il en reste), avec notamment Silvain Gire et Jean-Pierre Farkas, un débat sur l’alchimie des mots… Soit un pêle-mêle d’artistes, de compositeurs, de sonographes, d’auteurs, d’universitaires, de responsables culturels, de militants associatifs. On appelle ça faire feu de tout bois. Ou l’éclectisme. Au diapason de Jet FM.

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