Renforcer le vote sanction

Denis Sieffert  • 13 mars 2008 abonné·es

Le mot est authentique. Il m’a été rapporté par un confrère, familier d’un village de Bourgogne où on a coutume à la présidentielle et aux législatives de voter à droite au-delà du raisonnable. Un village dont le maire, René, est agriculteur… et communiste :
René ! C’est un type bien et un maire formidable, mais, que voulez-vous, il a ses idées !

Et le brave homme de joindre le geste à la parole pour signifier que ce sont quand même là de drôles d’idées ! Mais, qu’importe, on a revoté pour René ce dimanche. Après tout, l’anecdote vaut bien des analyses de politologues. Et on se moque de savoir si René est un bon maire parce qu’il est communiste ou simplement parce qu’il est René. Hélas, entre ces deux tours, le commentateur, lui ­ pauvre commentateur ­, est sommé de prendre position. Quelle est la part du « national », et quelle est la part du « local » ? Où commence l’idéologie et où finit-elle ? À partir de quand l’appartenance politique fait-elle sens ? Pas facile. D’autant plus qu’il arrive aussi, à l’inverse de notre village bourguignon, que l’élu, lui-même plutôt électeur de droite aux élections nationales mais dévoué au service public, soit le premier à manifester (comme un communiste !) quand « son » gouvernement ferme le bureau de poste ou l’école. Il y a là une dimension de vraie politique.

Fort heureusement (pour le commentateur), toutes ces questions ne se posent pas dans les grandes villes, où la portée politique ne fait guère de doute, même s’il convient de la pondérer d’un certain coefficient personnel. C’est pourquoi on peut tirer quelques enseignements tout de même très nets de ce premier tour. Et il faut être Rachida Dati, experte en langue de bois, pour ne pas reconnaître la victoire de la gauche (dont les listes avec les Verts totalisent plus de 47 %, contre 45 % à celles de droite). On peut ensuite donner à ce résultat plusieurs significations : une part évidente de vote sanction contre Nicolas Sarkozy, soudain devenu un pestiféré dans son propre camp ; mais aussi la volonté de créer des contre-pouvoirs locaux à la toute-puissance de l’exécutif ; et peut-être aussi, et plus profondément, une plus grande adéquation entre les idéaux de gauche et la gestion locale, dans un pays où l’institution présidentielle invite davantage au plébiscite qu’au débat démocratique. Les deux autres enseignements majeurs sont pour nous source d’espoir : les mairies communistes ont beaucoup mieux résisté que prévu dans leurs fiefs, notamment en Seine-Saint-Denis. Et des listes « gauche de la gauche », principalement de la LCR ­ mais pas seulement, ont fait des scores très honorables, de 15 % et plus. C’est au moins l’assurance que la question sociale, de plus en plus délaissée par le PS au plan national, conserve un ancrage dans notre vie politique.

Les autres leçons de ce scrutin sont à chercher moins dans les chiffres que dans les discours. Malgré ses succès municipaux, le parti socialiste est toujours face à des choix qu’il ne pourra plus longtemps différer. En recherche d’alliances pour le second tour, ses incohérences peuvent s’apparenter à de la plasticité. Mais, à terme, l’absence de choix n’est pas viable quand on prétend appartenir à un même parti. L’orientation nettement centripète de Ségolène Royal invite à des fusions qui ne sont pas seulement tactiques avec le MoDem, libéral, de François Bayrou. L’ex-candidate tombe le masque. Sous des formules vides de politique, et les poses extatiques, elle apparaît de plus en plus comme promouvant une solution « à l’italienne » d’une gauche qui ne veut même plus entendre parler de « gauche ». L’alliance d’avant-premier tour à Dijon, et d’entre-deux tours à Marseille, où les listes PS et MoDem fusionnent, témoigne de cette tentation.

De l’autre côté de l’échiquier socialiste, Martine Aubry, qui réapparaît en position très favorable (à Lille, elle est en progression de dix points par rapport à 2001), sans parler de Laurent Fabius, incarne assurément une autre conception. Reste le cas Delanoë. L’homme cultive la prudence. Sa base sociale à lui, comme à son collègue lyonnais Gérard Collomb, est le « boboïsme ». Ce qui porte plus à affronter les problèmes sociétaux, ou à aborder le social d’un point de vue compassionnel qu’en termes de répartition des richesses. Cette évolution sociologique marque aussi le programme du Parti socialiste ouvrier espagnol de José Luis Zapatero, vainqueur dimanche des législatives avec 43,64 % des suffrages (contre 40,12 % au Parti populaire, de droite), loin cependant de connaître la dérive libérale de son alter ego italien. Derrière la bataille des municipales, on ne peut donc oublier celle du congrès de novembre. Il s’y jouera l’identité du PS. En attendant, ilfaut simplement espérer que la poussée à gauche s’accentuera dimanche. Et que le vote sanction contre la politique de Sarkozy sera lisible pour tout le monde.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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