Scènes d’Orient

« Archipel » et « Nuits à Bagdad » : deux visions fantasmées du Liban et de l’Irak, dont la réalité est saisie hors du temps présent.

Gilles Costaz  • 6 mars 2008 abonné·es

Deux pièces nous parlent du Proche-Orient, l’une et l’autre d’une manière fantasmée : ce monde est trop explosif et trop explosé. Du Liban, arrive au Tarmac de La Villette Archipel, d’Issam Bou Khaled, exemple rare de politique-fiction. En 2100, trois habitants de Beyrouth marchent dans un horrible canal souterrain. À force de gagner du terrain sur et sous la mer, les Libanais du futur sont arrivés à joindre souterrainement l’île où l’on peut trouver un peu de paix et de richesse, Chypre. Mais ce conduit est empli d’immondices. Les êtres humains qui s’y aventurent ne valent guère mieux que les déchets : un vieux docteur aveugle, une femme enceinte au visage caché par les détritus végétaux qu’elle a dans la bouche, un jeune homme atteint de surdité. Ils se parlent ou grommellent sans se comprendre. Et ils rencontrent un individu incertain, ancien bébé-éprouvette qu’on a jeté dans un sac-poubelle et qui a survécu !

Cette anticipation d’un comique désespéré est jouée en français par le collectif Shams et des acteurs qui ont une belle santé pour assumer les défis d’une langue malaxée et d’une gestuelle en déséquilibre : Bernadette Houdeib, Sawsan Bu Khaled, Bechara Atallah, Roger Assaf. Leur implication est plus grande que la nôtre, celle du spectateur, à qui échappent certaines allusions et qui a tendance à juger la fable trop intellectualisée. On l’apprécie comme parole libanaise d’aujourd’hui, sans entrer de plain-pied dans la fiction.

Au théâtre d’Antony, où il a créé Nuits à Bagdad, Paul Golub s’intéresse à l’Irak. Metteur en scène, il a eu l’idée d’opposer le Badgad d’aujourd’hui, cassé par Saddam Hussein puis par l’occupation américaine, et le Bagdad des Mille et Une Nuits. Et il a demandé à l’écrivain algérien Mohamed Kacimi d’écrire une pièce sur ce thème. Rien de plus difficile et dangereux ! Kacimi n’a pas fait une oeuvre parfaite : la fin, où les personnages disent des textes érotiques et s’effondrent pendant qu’explosent les bombes, n’est pas très heureuse. Pourtant, l’ensemble est bienvenu, d’une étonnante habileté.

Dans une aire fermée par quelques blocs de béton, une femme monologue, chante, danse. C’est Shéhérazade, celle d’hier et celle qu’elle pourrait être aujourd’hui. Elle ne reste pas longtemps seule. Passent un étudiant malheureux, une jeune fille aux moeurs libres, un ingénieur machiste, un soldat américain… Sans cesse se regardent un passé de liberté et de plaisir et un présent fait de souffrance, de guerre, d’injustice et d’intolérance religieuse. Les acteurs, Linda Chaïb, Samia Jadda, Brontis Jodorowsky, Carolina Pecheny-Durozier et Jean-Benoît Terral, se métamorphosent, jouent plusieurs rôles. Alors que le propos est un peu prémédité et théorique, ils atteignent à une belle incarnation des rôles, tandis que la mise en scène trouve la juste traduction théâtrale d’un monde en ruine où la vie palpite toujours, défie la mort.

Culture
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