Vers la fin d’un système féodal ?

La colère de la présidente du Medef, au nom de la transparence financière, met au jour l’omerta et la guerre ouverte au sein de l’organisation patronale.

Thierry Brun  • 6 mars 2008 abonné·es

Dans la sourde bataille contre l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), Laurence Parisot est loin d’avoir l’avantage. Lors d’une réunion exceptionnelle de son bureau lundi 3 mars, la fédération de la métallurgie a dans un premier temps pointé « la campagne violente dont fait l’objet l’UIMM » et réaffirmé son pouvoir au sein du Medef.

La réunion de crise de l’UIMM succède pourtant au retour sur le devant de la scène de l’affaire Denis Gautier-Sauvagnac. On sait désormais, depuis les révélations de l’hebdomadaire Marianne (du 1er mars), que l’ex-dirigeant de l’UIMM, mis en examen le 15 janvier pour « abus de confiance, recel d’abus de confiance et travail dissimulé » , a bénéficié d’accords occultes négociés par les dirigeants patronaux de la métallurgie pour acheter son silence, dès décembre 2007.

Révélé sur la place publique, le prix de l’omerta patronale a embarrassé la fédération, qui a proposé, lundi, « de réexaminer les conditions de départ de Denis Gautier-Sauvagnac » , sans plus de précision. Marianne avait indiqué que l’ex-dirigeant de l’UIMM devait toucher 1,5 million d’euros d’indemnités de « mise à la retraite » et bénéficier du règlement de ses futures condamnations pénales ou fiscales. Un cadeau pour avoir admis son implication dans les mystérieux retraits d’espèces, qui s’élèveraient à une vingtaine de millions d’euros. Mais Gautier-Sauvagnac s’est bien gardé de livrer les noms des bénéficiaires de ces fonds, indiquant seulement qu’il s’agissait de « fluidifier le dialogue social » , et sans doute le dialogue politique.

L’actuel président, Frédéric Saint-Geours, a aussi annoncé un coup de balai : « DGS » quitte ses fonctions de délégué général et Dominique de Calan, celles de délégué général adjoint. Deux têtes sont tombées, mais l’essentiel est préservé. Laurence Parisot avait demandé à tous les membres de l’UIMM détenant des mandats nationaux au nom du Medef (une centaine de postes) de lui présenter leur démission. Sans être entendue par les dirigeants de la fédération. L’UIMM entend « conserver tous ses mandats » dans les différents organismes où elle représente le patronat.

La révélation de négociations clandestines ne doit cependant rien au hasard. La « patronne des patrons », élue en 2005 sans le soutien de l’UIMM, a pu ainsi lancer une offensive contre la plus riche et la plus puissante fédération du Medef, en appelant « tous les chefs d’entreprise de France, des TPE, des PME et des grands groupes » à la soutenir pour « tout remettre à plat » . Sous couvert de « gouvernance démocratique pour toutes les organisations » et de « transparence financière » revendiquées « haut et fort » , la dirigeante du Medef est engagée dans une guerre ouverte pour le contrôle de l’organisation patronale et du magot de plusieurs centaines de millions d’euros, réunis par l’UIMM dans plusieurs caisses noires.

Deux années de cohabitation difficile entre l’UIMM, patronat dans le patronat, et Laurence Parisot ont aussi ouvert la boîte de Pandore patronale sur « un système réfléchi et organisé de contrôle et de muselage des organisations syndicales » , a réagi l’Unsa. Dès octobre 2007, ce syndicat non représentatif, souvent attaqué en justice avec d’autres par les directions d’entreprise, a révélé que « ce système a pris dans de nombreuses entreprises de la métallurgie un caractère clanique et féodal digne de la guerre froide et du Yalta syndical qui l’a accompagné » .

Ce système est depuis de nombreuses années validé par les dirigeants patronaux du Medef. « Donner des espèces à divers partenaires dans la vie sociale, [c’est] dans la continuité historique de l’UIMM, dans sa mission de recherche du dialogue social » , a écrit François Ceyrac, ex-président de l’UIMM et du CNPF (1969-1973), ainsi que deux de ses successeurs, qui avaient renouvelé publiquement leur confiance à « DGS » en octobre 2007. Un examen attentif des statuts actuels montre le laxisme de l’organisation patronale dans sa quête de « transparence ». Le Medef dispose d’un « comité financier » qui doit procéder aux examens des situations des organisations patronales adhérentes. Il y est même prévu un « audit des comptes » devant le conseil de l’organisation patronale. Or, rien de cela n’est apparu publiquement depuis que Laurence Parisot dirige le Medef. Le même Medef est pourtant l’organisateur de négociations sur la représentativité et le financement des syndicats de salariés, négociations que l’organisation patronale a toujours refusées pour ce qui la concerne. Il y a quelque chose de pourri dans le dialogue social.

Temps de lecture : 4 minutes