Au bord du périphérique

Les Rencontres de la Villette mettent la relève à l’honneur pour leur 13e édition.
L’occasion de prendre le pouls d’une génération qui continue de tirer le hip-hop
vers la chorégraphie, quitte à l’éloigner de la rue mais aussi des codes identitaires.

Ingrid Merckx  • 24 avril 2008 abonné·es

Il y a eu Franck II Louise, Accrorap, Käfig… Des collectifs et des compagnies nés dans les années 1985-1990 qui ont posé les jalons du hip-hop en France. Quelle est la génération montante ? S’Poart, X-Press, Ultimatum Step, Ultime, Collectif 6e sens, TSN ou Khady Fofana, répondent les Rencontres de la Villette, qui tiennent leur 13e édition jusqu’au 27 avril, au parc de la Villette. Pas complètement des nouveaux venus : S’Poart, par exemple, compagnie de la Roche-sur-Yon (Vendée), devenue professionnelle en 2001, compte déjà dans son répertoire des spectacles présentés à l’étranger ou au festival off d’Avignon. Son dernier spectacle, In Vivo , programmé lors du deuxième plateau hip-hop des Rencontres, les 25, 26 et 27 avril, propose d’exprimer avec six danseurs « la volonté d’être vivants malgré les tiraillements et les errances ». Que dit la nouvelle génération représentée à la Villette ? Et, surtout, comment le dit-elle ? C’était un peu la question qu’on pouvait se poser devant le plateau hip-hop composé pour le premier week-end des Rencontres.

Première évidence : le hip-hop initial (rap et break-dance) perd du terrain. C’était sensible dans la musique, dans les figures, dans les chorégraphies. Et dans le public qui, majoritairement jeune et turbulent, venu en bande mais aussi en famille applaudir des têtes connues, est manifestement encore très adepte des battles (défis que se lancent les danseurs seuls ou en équipes), des freezes (acrobaties marquant un temps d’arrêt en l’air), du free style (séquences d’improvisation) et du gros son. Pas d’improvisations, donc, sur ce plateau du 18 avril, ni de déchaînement de basses, mais des chorégraphies très élaborées jouant le métissage avec une autre danse, comme avec la danse traditionnelle lao dans Fang Lao du Lao Bang Fai Crew (Laos), les tribulations géométriques, comme dans Trio de X-Press (Joué-Lès-Tours), ou la farce, dans Apparence(s) d’Ultime (Sarcelles). Dépaysement ; parité homme-femme dans la répartition danse-acrobaties (ce qui n’est pas si courant) ; et tentative (inaboutie) de référence politique en utilisant un extrait sonore du fameux discours de Jacques Chirac sur « le bruit et l’odeur ».
Si la maturité du hip-hop se mesure à la capacité non pas d’enchaîner des mouvements et des figures mais de les mettre au service de l’expression d’une idée, les danseurs du Collectif 6e Sens (Roubaix) et d’Ultimatum Step (Cachan) se sont montrés les plus audacieux. Au risque de verser dans l’abstraction, dans le cas du Collectif 6e Sens avec son spectacle Clepsydre, construction poétique mais opaque et lente sur l’écoulement du temps. Ultimatum Step, au contraire, s’est livré à une expression complexe mais intrigante sur l’uniformisation de la société et la pensée unique. Dépourvu d’apparats, d’abord biscornu et déstabilisant, Un à uns multiplie, en plusieurs tableaux, tracés et regroupements inhabituels (fausses diagonales croisées, faux portés, peu de passages au sol, sacrifice d’un danseur restant inerte), travaillant, avec des danseurs qui ne répondent pas forcément aux canons de la discipline, le choc entre l’effet pantin articulé et l’expression de soi. Témoin, cette partie où chaque danseur (quatre danseurs, deux danseuses) était associé à un motif sonore et à un style de gestuelle, chacun « électrisant » l’autre à tour de rôle après une brève performance, comme un automate prenant son autonomie et allant réveiller le voisin. Un à uns est sans doute le spectacle qui est allé le plus loin ce soir-là dans l’écriture et la constitution d’un climat.

Mais quid de l’exploit, de l’humour fanfaron inhérent au hip-hop ou de la jubilation joyeuse des danses de rue ?, semblait se demander un public pourtant respectueux des morceaux de bravoure, quels qu’ils soient – break, pop, lock, funk style et même tecktonik, effet de mode oblige ! – mais déstabilisé par la longueur des changements de plateaux, le ton un peu lugubre de la soirée et l’effacement des codes d’usage. En quoi consiste la culture de marge, et ces « cultures périphériques » que les Rencontres de la Villette se font fort de représenter ? Étaient-elles sur scène ce week-end ou fallait-il les pister dans les autres programmations (DJ’s, théâtre, expositions) du festival ? Faut-il compter sur le deuxième plateau hip-hop du programme avec, outre S’Poart, la 20e Tribu (Paris), et TSN (Châlon-sur-Saône), la compagnie Khady Fofana (Villeneuve-la-Garenne) et sa pièce pour quatre danseurs et deux musiciens, l’Autre ? Ou s’aventurer, peut-être, sur le plateau « Limit hip-hop », qui mixe les styles et les arts et revendique le melting-pot comme le borderline. Comme pour marquer la fin des revendications identitaires et l’entrée dans l’ère de l’hybride.

Culture
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