Écologie / Des yourtes très nature

Sylvie Barbe  • 30 avril 2008 abonné·es

Devant l’imminence du krach écologique et l’improbable instauration d’urgence, par les États, d’une gouvernance mondiale travaillant au destin collectif, quelques précurseurs de la société postindustrielle inaugurent discrètement, dans nos campagnes, un style de vie sobre et cohérent, autonome et responsable : par nécessité ou par choix, de plus en plus de personnes s’installent à demeure dans des yourtes.

Loin de la récupération marchande d’un ethnicotourisme de la cabane, le mouvement des yourtes en pleine croissance exprime l’intelligence compensatoire et réparatrice d’un peuple modeste qui a assimilé qu’il n’avait plus rien à attendre de politiques vénalisés jusqu’aux os. Réponse auto-immune, régulatrice, cet exode en légèreté démontre les capacités d’auto-organisation, d’ingéniosité, de rebondissement, de prise en charge de sa propre vie, loin des normes de l’opulence obligatoire, par des personnes considérées jusque-là comme inutiles, subversives, improductives ou en échec social. C’est ainsi que la yourte, née du désert des exclus, devient le symbole de l’émancipation radicale vers une altersociété, en contre-pied absolu à l’obération outrancière du système productiviste.

Face à cette inventivité rebelle , en Pyrénées-Orientales, le préfet a inventé une charte de « bonne conduite » pour normaliser le fichage des cabanes, la délation administrative pour EDF, la CAF et la chambre des notaires, le refus de branchement aux réseaux d’eau, d’électricité et de téléphone pour les maires, au prétexte d’une « lutte contre l’exclusion et l’habitat indigne ».

Sur la côte, après détection par photos aériennes, les communes, la Safer, sociétés spécialisées dans la vente de biens fonciers ruraux, le Conservatoire du littoral et les départements rachètent, préemptent ou exproprient les terrains pour détruire systématiquement tout habitat hors norme.

En Cévennes, la direction départementale de l’Équipement s’attaque aux yourtes, qui ont l’impertinence d’offrir un habitat familial alternatif à moindre coût, mais surtout d’échapper au permis de construire. Elle intente abusivement des procès en correctionnelle contre paysans et autoconstructeurs. Déboutée, la DDE fait alors pression sur les propriétaires pour provoquer des expulsions.

Ce pourchassement contraint à des installations sur des friches reculées, et à des viabilisations autonomes : récupération d’eau de pluie, toilettes sèches, phytoépuration, bioclimatisme et énergies renouvelables, qui complètent naturellement une économie de subsistance fondée sur l’entraide, le défrichage, le jardinage, la botanique médicinale, la cueillette, la récupération et l’artisanat, le seul luxe étant l’ordinateur, indispensable cheville entre le local et le global, et entre réseaux d’affiliation. Ces pratiques de survie élémentaires et d’organisation, sinon de la pénurie du moins de l’essentiel revu à l’aune de l’empreinte écologique, réactualisent les tactiques d’alliance et de coopération d’avant l’accumulation néolithique : la conscience que la zone de cueillette du voisin est aussi précieuse à la préservation des ressources que la sienne transforme l’ennemi potentiel en cogestionnaire de l’espace. C’est ainsi que les demeures nomades, légères, manifestent, en pays riche, la mutation nécessaire du rapport à l’espace de l’humanité.

Mais cet art de vivre simplement, décemment, sans massacrer la nature et la planète, cette citoyenneté de sagesse et de contentement, en pleine expérimentation à l’abri du terrorisme médiatique, ne peut s’abstenir d’organiser, dans la non-violence et la désobéissance civile assumée, sa défense contre les attaques des prédateurs : le fondateur d’Halem, Habitants des logements éphémères et mobiles, vient de périr, en plein combat militant, dans l’incendie d’une friche rennaise convoitée par des requins de l’immobilier… Ces combats sont vitaux pour la diversité culturelle, mais aussi pour l’espérance d’une société capable de survivre à ses erreurs. En prévision : en Cévennes, en août, les rencontres de l’Habitat choisi, et en septembre, celles des habitants sous yourtes.

Temps de lecture : 3 minutes