La faute historique du Parti démocrate

Le parti de Walter Veltroni a causé la perte de la gauche sans conquérir le centre. Résultat, un net succès pour Berlusconi et ses alliés « post-fascistes » et xénophobes.

Olivier Doubre  • 17 avril 2008 abonné·es

La gauche italienne, toutes composantes confondues, a perdu largement les élections législatives des 13 et 14 avril 2008. La coalition emmenée par Silvio Berlusconi compte en effet environ 9 points d’avance, aussi bien à la Chambre des députés qu’au Sénat, avec plus de 47 % de voix contre 38 % au « bloc » de centre-gauche dirigé par Walter Veltroni. Sans entrer dans le détail de la loi électorale en vigueur, adoptée en 2005 par la majorité berlusconienne et extrêmement complexe, l’enseignement majeur de ce scrutin est la réduction drastique du nombre de formations politiques représentées au Parlement italien. Une petite révolution en Italie, où le nombre de partis politiques a toujours été particulièrement élevé… On aurait tort cependant de se réjouir trop rapidement de ce que la plupart des grands médias saluent, depuis l’issue de la consultation, comme la « simplification » tant attendue par les électeurs transalpins. Les sensibilités politiques entrant au Parlement se limitent cette fois à quatre groupes parlementaires au Sénat et cinq à la Chambre. Seul celui du Parti démocrate (fusion des héritiers du Parti communiste italien et de l’aile gauche de la Démocratie chrétienne) siégera pour le centre-gauche, allié à celui dirigé par l’ancien juge anticorruption Antonio Di Pietro. En face, le groupe du nouveau parti de Silvio Berlusconi, le Peuple de la liberté (fusion de son ancienne formation, Forza Italia, et des « post-fascistes » de l’Alliance nationale), sera aux côtés de la Ligue du Nord, parti xénophobe du (riche) nord de la péninsule, qui double son score. Enfin, présente uniquement à la Chambre, ayant choisi une démarche proche de celle de François Bayrou en France, l’Union du centre regroupe des démocrates-chrétiens qui, pour la plupart, faisaient encore, il y a peu, partie de la coalition dirigée par Berlusconi.

L’aile gauche des deux hémicycles du Parlement italien ne sera donc, à compter du 29 avril prochain, début de la nouvelle législature, occupée que par le Parti démocrate. Que reste-t-il donc de la gauche ? Rappelons que Walter Veltroni a lui-même, suivant une stratégie de « course au centre », déclaré durant la campagne, que le Parti démocrate… « n’ [était] pas un parti de gauche » ! Tout son discours a en effet consisté à se démarquer autant que possible de La Sinistra-L’arcobaleno (La Gauche arc-en-ciel), nouveau sujet politique en construction qui veut unir les sensibilités écologiste (les Verdi), communistes (refondateurs et certains orthodoxes, pour reprendre la terminologie hexagonale) et Sinistra democratica, la minorité des héritiers du PCI qui a refusé d’intégrer le (trop centriste) Parti démocrate (cf. Politis n° 989). Or, tous participaient, ensemble, au gouvernement Prodi… La loi électorale fixe un seuil de 4 % pour avoir des élus à la Chambre, et de 8 % au Sénat : avec 3,5 % des voix en moyenne, La Sinistra-L’arcobaleno n’obtient donc aucun siège, dans aucune des deux assemblées. Ces dernières semaines, le Parti démocrate a multiplié les appels du pied aux électeurs les plus modérés, notamment catholiques, et rendu impossible un rapprochement avec les formations sur sa gauche. Suivant ouvertement un modèle « à l’américaine » , ce parti, « à vocation majoritaire » , n’a eu de cesse de pointer sa distance avec LaSinistra, alors que certains de ses dirigeants allaient parfois jusqu’à évoquer une improbable « grande coalition » (comme en Allemagne) avec la droite berlusconienne…

Sans hésiter, les dirigeants de Rifondazione comunista, composante principale de La Sinistra-L’arcobaleno, ont reconnu cette « cuisante défaite » qui voit, pour la première fois depuis 1945, la sensibilité communiste restée en dehors du Parlement transalpin. Mais ils ont aussi dénoncé « la responsabilité historique » du Parti démocrate, qui, en jouant la carte centriste, a de fait déplacé le centre de gravité de l’ensemble de la vie politique vers la droite, marginalisant toutes les forces sur sa gauche, au lieu de chercher à rassembler toutes celles qui craignaient plus que tout un retour de Berlusconi au pouvoir. Or cette crainte a évidemment pesé fortement dans l’électorat de gauche, qui a souvent préféré « voter utile », donc pour le Parti démocrate. Pourtant, celui-ci n’est pas parvenu à gagner le soutien des électeurs les plus au centre de l’échiquier politique, qui sont, eux, restés fidèles à la coalition berlusconienne. Le quotidien lié à l’organisation patronale italienne, Il Sole-24 ore , ne s’y est pas trompé en titrant mardi, au lendemain du vote, « le Parti démocrate n’a pas conquis le centre modéré » . Si elle a réussi à empêcher toute représentation parlementaire aux formations politiques qui affirment clairement leur ancrage à gauche, la « course au centre » du Parti démocrate n’a pas enrayé l’élan de Silvio Berlusconi. Loin s’en faut. Avec 9 % des voix d’avance, l’homme le plus riche d’Italie a une majorité stable.

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