La guerre oubliée de l’uranium

Au Niger, l’exploitation de mines d’uranium par la multinationale Areva est contestée. Un collectif dénonce de graves pollutions dans la région du Nord, également plongée dans un conflit politique qui s’enlise.

Pauline Graulle  • 10 avril 2008 abonné·es

Issouf Ag Maha est touareg. C’est le maire de Tchirozérine, une petite commune minière située entre Agadez et Arlit, au nord du Niger. Depuis juillet 2007, « l’homme bleu » n’a pourtant plus le droit d’y mettre les pieds. Exilé en Normandie, où il espère obtenir l’asile politique, il entend défendre le peuple touareg dans la « guerre oubliée des médias » qui oppose l’armée nigérienne et les rebelles touaregs. Pour l’instigateur du collectif Tchinaghen, créé juste après l’instauration de l’état d’urgence en août dernier, la cause des malheurs du Niger, c’est d’abord son sol. Ou plutôt ses sous-sols, qui regorgent d’une denrée précieuse : l’uranium. « L’installation des miniers sur nos terres menace l’écosystème , explique-t-il, mais aussi l’existence des populations qui y vivent. Nous, Touaregs, sommes considérés comme les derniers gêneurs car nous résistons à la spoliation de nos terres par les géants du nucléaire. »

Illustration - La guerre oubliée de l'uranium


Un salarié de la Somaïr marche sur les résidus d’exploitation de la mine d’uranium d’Arlit. Bernard Desjeux

Àla tête de ces géants, se trouve l’une des plus puissantes entreprises françaises, Areva. Il y a quarante ans déjà, le leader mondial de l’énergie nucléaire s’était implanté sur le site d’Arlit pour en extraire le « Yellow Cake ». Cette poudre jaune issue de la transformation du minerai d’uranium, devenu, en ces temps de pénurie de pétrole, une véritable mine d’or. Mais les conditions de son exploitation via la Somaïr et la Cominak, les deux filiales d’Areva, sont aujourd’hui plus contestées que jamais. Au point que, le 23 janvier, en marge du Forum économique mondial de Davos, Areva s’est vue remettre le prix « Public Eye Award » consacrant la « multinationale la plus irresponsable de l’année » pour son comportement au Niger.

La liste des griefs notifiés à l’entreprise est longue. En décembre 2003, l’équipe de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad) atterrit à Niamey, la capitale nigérienne, pour réaliser une étude sur la radioactivité à la demande de l’ONG Aghir In’man. Malgré la confiscation par les douaniers de ses appareils de mesure de la radioactivité, le laboratoire dresse un compte rendu édifiant. Et ne cesse, depuis, de tirer la sonnette d’alarme. La Criirad [^2] épingle ainsi les ferrailles contaminées et remises en vente sur les marchés, les dizaines de millions de tonnes de résidus radioactifs non confinés, les rejets des gaz radon hautement radioactifs, la pollution des eaux distribuées par les compagnies minières aux populations, etc. Sans même parler des risques de sécheresse, du fait des masses d’eau prélevées par les usines dans la nappe fossile ­ et donc non renouvelables. « Malgré nos alertes, Areva n’a reconnu la véracité d’aucune de nos constatations, souligne Bruno Chareyron, responsable du dossier Niger à la Criirad. Mais il semblerait qu’en cachette, les responsables agissent. » Certains observateurs concèdent ainsi quelques améliorations des conditions de travail des salariés à l’intérieur des mines d’uranium : « J’ai visité les mines dans les année 1970 , se souvient le journaliste-photographe Bernard Desjeux. À l’époque, les employés avaient pour seule protection un chèche devant le nez. Aujourd’hui, ils portent des masques, ils semblent mieux protégés. La pollution est aussi due à l’urbanisation de la région d’Arlit, où la ville a poussé comme un champignon sur ce qui était jadis un plateau désertique. »

Reste que, selon la Criirad, l’exposition sur plusieurs décennies des Nigériens à de petites doses radioactives pourrait entraîner de graves pathologies. Même si, faute de données, nul ne sait quelles seront les conséquences de ces « négligences » . « Le comportement inconséquent des miniers n’est pas nouveau , reconnaît Alain Joseph, hydrologue et ancien professeur à Niamey. Cela dit, en entravant la mise en oeuvre d’études correctes, Areva montre une mauvaise volonté certaine, alors qu’elle a l’argent pour changer les choses ! »

Ces accusations n’ont pourtant pas empêché la multinationale de renforcer son implantation au Niger, notamment en s’emparant de l’immense gisement d’Imouraren. Elle vient ainsi d’engager un accord de partenariat avec le pétrolier Technip pour investir dans des projets d’exploitation qui lui permettront de doubler ses capacités de production d’uranium d’ici à cinq ans. Et au gouvernement nigérien de profiter de cette manne financière sans pour autant se préoccuper des conditions de vie de ses habitants… « Areva vient de s’installer sur ma commune, témoigne Issouf Ag Maha, qui s’est rapproché des opposants au président Mamadou Tanja. Je l’ai appris parce qu’il y a eu une fuite fin 2007 au niveau du ministère des Mines. « C’est une affaire d’État » *, m’a-t-on répondu quand j’ai demandé pourquoi Tchirozérine avait été morcelée sans mon accord pour délivrer des permis d’exploitation de l’uranium. »*

Mais si Areva jouissait naguère d’un quasi-monopole, l’entreprise n’est plus la seule à lorgner d’un oeil avide sur sa part de Yellow Cake. Désormais, les entreprises chinoises détiennent 40 % des concessions d’uranium. Et leur comportement inquiète encore davantage… Selon Tchinaghen, près de 130 permis de recherche d’uranium ont été octroyés l’année dernière par le pouvoir central nigérien à des sociétés européennes, asiatiques, américaines et australiennes, au coeur des zones de transhumance des autochtones. « Nous assistons à une délocalisation de la pollution du nucléaire dans une idéologie néocoloniale, enrage Stéphane Lhomme, du Réseau Sortir du nucléaire. D’autant que l’uranium commence lui aussi à manquer : aujourd’hui ce sont des guerres pour le pétrole, demain, des guerres pour l’uranium. »

Ces nouvelles attributions de sous-sols continuent par ricochet de radicaliser le discours de la rébellion touarègue, qui affirme ainsi lutter contre la mort lente de son peuple. Et le Mouvement des Nigériens pour la justice, qui regroupe les plus va-t-en-guerre d’entre eux, apparaît toujours plus offensif face aux violentes vagues de répression gouvernementales dont il est l’objet.

En France, le collectif « Areva ne fera pas la loi au Niger » (voir encadré) vient de se constituer sur fond de frilosité politique. « Le procès unilatéral d’Areva est choquant. Évidemment, on peut toujours faire mieux, mais c’est un industriel responsable » , rétorque le député UMP Michel Terrot, du groupe d’amitié parlementaire France-Niger. « Areva n’a probablement pas envie que l’opinion publique mette son nez dans ses activités , explique Anne Roussel, coordinatrice du collectif. Nous voulons politiser le débat pour que la France ouvre les yeux. » Si tant est qu’elle les ferme un instant sur ses intérêts économiques.

[^2]: Areva: Du discours à la réalité: l’exemple des mines d’uranium du Niger, note de la Criirad, 30 janvier 2008.

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