Monde / « Harragas » ou l’immigrant clandestin vu (d’)en face…

Yves Quintal  • 30 avril 2008 abonné·es

Les témoignages, les récits et les fictions ne manquent pas sur ceux qui perturbent la citadelle Europe, sur ces nouveaux « boat people » qui accostent sur les plages qui font face à l’Afrique. Ceux qui partent plein d’espoir et de terreur du Maghreb, on les appelle les « harragas ». Mais les connaît-on vraiment ?

Ils ont décidé de partir parce qu’ils sont convaincus que dans leur pays ils sont incapables de supporter plus longtemps les humiliations. Alors, « plutôt être mangé par les poissons que par les vers de terre ». Et toute leur intelligence, toute leur énergie à vivre, leurs espoirs sans limites les portent de l’autre côté de la mer.

Ils ont pris la décision, ils ont amassé un pécule, de quoi payer le voyage, de quoi arriver à bon port avec une tenue correcte (il faut être bien habillé pour se fondre dans la foule en Europe), et aussi quelques économies, histoire de tenir le coup (en moyenne 500 euros). Certains ont un téléphone portable qui permet de communiquer avec la famille pendant la traversée (comme en témoignent les enregistrements de téléphonie mobile que les familles ont pu obtenir). Tous ont un gilet de sauvetage dans leur frêle barque ou Zodiac.

Des parents angoissés se mobilisent pour surveiller les plages de départ et surprendre le moment où les harragas vont prendre le large ; on connaît les zones, on connaît les passeurs, on devine les moments de regroupement. Parfois, ils tentent de les bloquer dans leur folle aventure. Ces citoyens ont l’expérience de cette situation. Eux-mêmes ont perdu un enfant, un fils, parfois même une fille, dont ils n’ont plus de nouvelles.

Les chiffres sont impressionnants : durant les neuf premiers mois de 2007, 12 753 migrants sont arrivés en Sicile à bord de moyens de fortune, 1 396 ont débarqué en Sardaigne venants d’Algérie. 53 842 immigrants ont été arrêtés et déportés en Libye en 2006. 60 000 migrants et réfugiés étaient détenus dans les prisons libyennes en mai 2007. 200 000 migrants ont été expulsés (source : ONG Fortress Europe, reprenant un rapport confidentiel de l’agence européenne Frontex pour la sécurité aux frontières de l’UE).
Car la Libye est chargée de « la sale besogne » ( El Watan , 11 novembre 2007), développant des centres de rétention financés par l’Europe, moyennant contreparties, n’est-ce pas M. Sarkozy ? Au Maroc, la chasse est ouverte depuis les incidents de Melilla et Ceuta. On déporte en plein désert, après avoir bastonné et affamé. En Algérie, les harragas sont soit libérés, soit emprisonnés, étant donné l’ampleur du phénomène, jugés et condamnés. En Tunisie, après avoir été recueillis en mer et détroussés, quelques-uns finissent dans le secret des prisons, d’autres sont remis à l’Algérie.

En Sardaigne, les harragas témoignent de l’humanité de l’accueil. L’expulsion est quasi immédiate, mais certains se faufilent et feront rêver ceux du bled.

Régulièrement, sinon chaque jour, la Méditerranée rejette des corps. Ceux qui arrivent en Algérie sont rarement identifiés. Les familles ne cessent de revendiquer que les corps retrouvés soient l’objet d’une identification par test génétique. Il n’est pas difficile d’imaginer le calvaire de ces familles de harragas disparus en mer ou ailleurs. Un collectif est né que nous pouvons soutenir. Il est appuyé par la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme.

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