« Nous rejetons le terme de commerce équitable »

L’association Mut Vitz, en Haute-Garonne, achète huit tonnes et demi
de café par an aux communautés zapatistes du Chiapas pour favoriser leur autonomie. Les explications de son président, Jean-Pierre Petit-Gras.

Yoran Jolivet  • 10 avril 2008 abonné·es

Votre association, Mut Vitz, qui achète du café aux communautés zapatistes du Chiapas, passait auparavant par une coopérative de commerce équitable de Barcelone. Aujourd’hui, elle préfère s’en occuper elle-même. Pour quelles raisons ?

Jean-Pierre Petit-Gras : La première raison, c’est que les adhérents de l’association ne voulaient plus passer par un intermédiaire, quel qu’il soit, car nous voulions traiter directement avec les coopératives zapatistes. Non par défiance à l’égard des acheteurs du commerce équitable, mais parce que nous voulions pouvoir proposer un meilleur prix que le tarif conventionnel, signer nous-mêmes les contrats, etc. Le but était également de réduire au maximum la distance du transport routier. Nous importons donc nous-mêmes, en passant par un transitaire qui s’occupe du transport maritime et des formalités en douane, au Mexique et à l’arrivée en France.

Quelles sont les alternatives à des modes de transports coûteux sur le plan environnemental et social ?

Pour le moment, nous ne pouvons pas intervenir sur le transport maritime : cela se fait par conteneurs, sur des bateaux que nous savons polluants et fonctionnant avec des marins certainement surexploités. Le coût de la manutention à l’arrivée et de l’acheminement routier dans le Tarn est d’ailleurs supérieur au transport maritime depuis le port de départ, Veracruz, jusqu’à Marseille. Nous rêvons de transporter un jour le café sur un bateau à voile, mais il reste de nombreuses difficultés à lever.

L’organisme international FLO, qui fixe les prix du commerce équitable, vient de légèrement relever ses tarifs pour le café. Vous l’achetez nettement plus cher, pourquoi ?

Cette année, nous payons 2 dollars la livre de café vert. Selon les représentants des coopératives zapatistes, ce prix convient mieux que celui des grands acheteurs du commerce équitable
[^2]. Car, sur place, les « coyotes » [^3] organisent une concurrence terrible. Ils ont les reins solides, avec des grossistes derrière, qui spéculent en profitant des cours actuels élevés et cherchent à casser les coopératives, surtout celles des zapatistes. Ce prix nous paraît tout à fait raisonnable pour la France, d’autant que l’euro est très fort. Le plus important, c’est que la marge que nous réalisons, de 4 euros environ par kilo de café torréfié, nous la remettons intégralement aux gouvernements autonomes zapatistes. Ceux-ci l’utilisent pour les cliniques, les écoles et le soutien aux communautés expulsées par l’armée ou les paramilitaires. Ils rendent compte des dépenses chaque année.

Dans quelle démarche de commerce équitable vous situez-vous ?

Nous rejetons le terme de commerce équitable car nous ne faisons pas de commerce, ne cherchons pas à réaliser de bénéfices, ni à créer d’emplois commerciaux. Notre fonctionnement nous permet de n’avoir ni frais de locaux ni budget de publicité. En fait, nous sommes un groupement d’achat solidaire, et nous payons le café aux producteurs à un prix où nous essayons de nous affranchir des contraintes du marché. Nous sommes assez critiques sur les acteurs du commerce équitable qui achètent le café à bon prix et font croire que cela aide les habitants des pays producteurs à mieux vivre. C’est bidon, et ils le savent.

Quelle est votre relation avec les zapatistes

Elle est fondée sur un échange. Leur café est excellent, mais c’est surtout ce que nous pouvons apprendre d’eux qui nous intéresse. Les zapatistes savent vivre de la terre de façon solidaire, digne et pacifique. Ils s’autogouvernent en collectifs, avec un sens de la justice, de l’égalité et de la démocratie dont nous n’avons pas idée en Europe, où tout est décidé en haut, par ceux qui « savent » ou tiennent les leviers financiers. Les bénéfices que nous retournons aux zapatistes les aident à panser une petite partie des plaies causées par la guerre d’usure que mène le gouvernement mexicain, et, surtout, à progresser dans leur autonomie.

Que tirez-vous de ces échanges ?

Nous cherchons surtout à créer des îlots de résistance et des pratiques alternatives et solidaires dans nos associations de la région toulousaine. Les zapatistes nous apportent des références dans la lutte, l’auto-organisation et la construction d’une autonomie. Nos adhérents s’impliquent ainsi dans des réseaux pour résoudre des problèmes liés à l’alimentation (contribution à des circuits directs, développement des jardins collectifs), à l’argent (nouvelles formes de prêts de particulier à particulier) et autres types d’échanges comme la transmission de savoirs… Il y a beaucoup de réflexes à casser quand on s’auto-organise, mais si cette démarche se développait, cela ouvrirait de nouvelles perspectives.

[^2]: Le prix minimum du commerce équitable fixé par FLO (Fairtrade Labelling Organizations) change à partir du 1erjuin, il sera désormais de 1,45 dollar la livre pour du café arabica biologique (contre 1,41 dollar auparavant), avec une prime sociale de 0,10 dollar par livre.

[^3]: On appelle ainsi les intermédiaires conventionnels qui achètent le café aux producteurs pour le revendre à des grossistes.

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