Une mine de pollution

Dans le désert du nord chilien d’Atacama, un site d’extraction
de cuivre produit en permanence un nuage de poussière toxique, menaçant les Indiens de la région. Reportage de Claude-Marie Vadrot.

Claude-Marie Vadrot  • 24 avril 2008 abonné·es

Ouverte dans les années 1920, près de Calama, dans le désert du nord chilien d’Atacama, la mine de cuivre de Chuquicamata est aujourd’hui la plus grande du monde. Sur les bords de la mine, le vertige saisit, car les camions de cent tonnes qui évacuent le minerai mettent plus d’une heure à serpenter le long de ses parois qui plongent à plus de 500 mètres de la surface. Une immense cuvette à ciel ouvert qui dégage en permanence des nuages de poussière à quelques centaines de mètres d’une ville minière abandonnée depuis la fin 2007, justement parce que les pollutions mécaniques et chimiques y étaient dangereuses pour les habitants.

Illustration - Une mine de pollution


Les camions de 100 tonnes mettent une heure à monter en haut de la mine.
Photos Claude-Marie Vadrot

Cette ville fantôme a été repeinte à neuf pour égayer la visite des Chiliens et des étrangers qui viennent découvrir cette exploitation gigantesque. Car il faut les persuader que tout va bien dans le meilleur des mondes miniers, dont les guides du service de communication vantent les exploits en oubliant de raconter les pollutions. Pour les journalistes, une visite détaillée doit se réserver deux mois à l’avance par l’intermédiaire du site de l’entreprise, sans garantie d’une réponse positive. Codelco, qui gère cette mine du Nord et trois autres au Chili, n’aime pas les questions indiscrètes ni les photographes ayant l’audace de choisir l’angle de leurs prises de vue.
Dans la ville conservée comme un décor intact de western, se côtoient l’église, le stade de football, le cinéma, les banques, une place pour les défilés militaires, un hôpital et toutes les boutiques qui incitaient les travailleurs et les cadres à rester vivre sous la coupe des responsables de la mine. La nationalisation décidée par le gouvernement de Salvatore Allende a été revue de façon à laisser les mains libres à un opérateur privé. L’État et le privé ne permettent pas les critiques : elles sont considérées comme une véritable atteinte aux intérêts de la nation, car l’énorme mine fournit à elle seule entre 20 et 25 % du cuivre mondial, selon les sources.

En développement constant, la mine de Chuquicamata consomme de plus en plus d’eau. Après des réticences, le guide avoue : « Nous utilisons 5 000 litres à la seconde, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, puisque l’activité ne s’arrête jamais ». Calcul rapide et édifiant : sur une année, activités minières et traitements du cuivre par de l’acide sulfurique confondus, la consommation de la mine s’élève donc à 157 680 000 tonnes d’eau. Un peu plus les années bissextiles. En plein désert.
Sur les routes et pistes de la région, il est facile de découvrir d’énormes tuyaux, dont certains vont capter cette eau dans les montagnes de la Cordillère des Andes jusqu’à 150 kilomètres de là. De nouveaux captages sont en cours de construction, faits aux dépens des villages d’agriculteurs et des communautés indiennes qui tentent, par des procès, de contenir les dégâts provoqués par l’exploitation.
À Chiu, village niché le long de deux rivières, le rio Loa et le rio Salado, qui en font une oasis du désert d’Atacama, à 40 km de la mine, Edward Perez Araya, chef de la communauté indienne atacamienne, dresse le bilan de la situation en consultant son ordinateur portable : « En quinze ans, à cause des prélèvements, nous avons dû réduire de 40 % nos surfaces cultivées. Alors que l’agriculture et les cultures maraîchères constituent 80 % de nos revenus. Le débit de nos rivières baisse, tout comme la nappe souterraine. Nous avons beau améliorer notre système d’irrigation, éduquer chacun à l’économie de l’eau, nous ne parvenons plus à faire face, et le revenu de la communauté et des communautés voisines baisse régulièrement, poursuit-il. Il suffit de comparer les images satellites du village pour voir que le désert regagne du terrain, que nous perdons de la surface cultivable faute d’eau. L’État a vendu à la mine des « droits à l’eau » qui nous appartiennent, comme le stipulent les lois sur les droits et les territoires des indigènes. Mais lutter contre le gouvernement, faire pression, engager des procès n’est pas facile. Nous prouverons et montrerons que cette mine qui nous fait mourir à petit feu et assèche beaucoup de villages se trouve sur un territoire qui appartient aux Indiens atacamiens. »
Satisfaction récente : la télévision chilienne a entendu la plainte des Indiens et a réalisé un reportage, diffusé à travers tout le pays, illustrant clairement leurs revendications, qui ne portent pas que sur l’eau. En se promenant autour du village de 580 habitants, on découvre l’érosion qui affecte rapidement les espaces abandonnés par les Indiens au désert, lequel progresse vers leurs rivières, au risque de les faire disparaître, de les enfouir sous le sable poussé par le vent qui balaye le plateau.

Chaque année en effet – information que les responsables de l’exploitation ne lâchent pas facilement – l’installation industrielle qui raffine le minerai pour séparer le cuivre du mobylène, métal encore plus rentable, utilise 1 200 000 tonnes d’acide sulfurique. Une part notable de cet acide se retrouve à la fois dans les eaux et dans l’atmosphère. Une pollution qui détruit les rivières et qui, lorsque souffle le vent d’ouest, se répand sur des centaines de kilomètres carrés du désert, jusqu’aux villages.
Sur ce point également, les Indiens ont introduit des recours devant les tribunaux. Car le nombre des malades, aussi bien à Calama que beaucoup plus loin, augmente rapidement. D’autant plus qu’un industriel japonais s’est installé sur les monstrueuses collines de déblais de la mine pour traiter chimiquement ces déchets et en extraire, toujours avec de l’acide sulfurique, ce qui reste de métal. Il prend encore moins de précautions que Codelco qui, à cause de cette pollution permanente, a dû fermer sa cité minière et installer ses salariés de l’autre côté de Calama. D’ici à 2009, huit quartiers fermés accueilleront 10 000 personnes parquées dans 2 500 maisons. Travailleurs et cadres y seront logés sous surveillance, avec un hôpital et des écoles qui leur sont réservés, loin des pollutions et des destructions qui empoisonnent la région.

Edward Perez Araya et la communauté indienne atacamienne doivent aussi affronter le tourisme de luxe qui, depuis quelques années, ravage San Pedro d’Atacama, près du célèbre lac de sel d’Atacama. « Les touristes ne seront les bienvenus à Chiu Chiu et dans ses vallées que s’ils respectent nos habitudes. Pas question d’accepter une invasion et, surtout, pas question que, comme à San Pedro, les Indiens soient systématiquement écartés de la gestion des agences et des circuits touristiques. Nous voulons garder le contrôle, éviter la destruction de nos paysages, de nos ruines, de nos traditions. »
Comme l’explique Edward Perez Araya à plusieurs reprises, mais avec le sourire : « Nous luttons. » Mais ce n’est pas facile, notamment pour les quelques habitants qui travaillent à la mine tout en revendiquant leur appartenance à la communauté indienne de la région. Pas facile non plus pour lui, qui travaille pour le gouvernement comme spécialiste des adductions d’eau.

Écologie
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