C’est combien, le juste prix ?

Les tarifs pratiqués dans le secteur du commerce équitable doivent répondre à des garanties pour un développement social des producteurs. Pourtant, ils varient d’une marque à l’autre. Pourquoi ?

Yoran Jolivet  • 8 mai 2008 abonné·es

Un des principes bien connus du commerce équitable est la garantie d’un prix minimum plus rémunérateur que les cours mondiaux aux petits producteurs du Sud. Ce principe fondateur, avec d’autres, est né de l’appel des pays en voie de développement en 1968 à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Par la suite, le mouvement a pris son essor en Europe dans les années 1990 [^2]. Mais, depuis quelques années, bien des questions se posent autour de ce juste prix, sachant qu’une grande partie des producteurs concernés travaillent avec Max Havelaar, organisme de certification du commerce équitable. Quelle part revient au producteur ? Quelles sont les différences entre les marques et les réseaux de distribution ?

Illustration - C’est combien, le juste prix ?


Une boutique Artisans du monde, qui applique les critères de commerce équitable à l’ensemble de la filière. Daniau/AFP

Dans un contexte de flambée des cours mondiaux des matières premières agricoles, ce n’est que le 1er juin que les petits producteurs du Sud verront le prix minimum garanti par le commerce équitable augmenter, alors qu’il n’avait pas bougé depuis 1994. L’ajustement des tarifs n’est en effet pas réactif : ceux-ci étant fixés longtemps à l’avance, les produits auxquels ils correspondent finissent par se trouver concurrencés par le marché conventionnel. Le prix minimum garanti est fixé par Fairtrade Labelling Organizations (FLO), structure internationale dont Max Havelaar est le représentant en France. Pour le café, la somme minimum était de 1,21 dollar la livre, elle passera à 1,25 dollar le 1er juin, soit 1,74 euro le kilo pour du café vert [^3], lavé et livré au port. C’est ce qu’on appelle le prix FOB ( Free on board ). Les acheteurs y ajoutent 0,28 euro le kilo pour du café bio, et 0,14 euro le kilo de prime sociale à la coopérative.

Si l’on rapporte ces tarifs à un paquet de 250 grammes de café bio payé 3 euros en grande surface, la coopérative de producteurs touchera 50 centimes sur chaque paquet vendu. Soit 16,7 % du prix total. Pour obtenir le salaire du producteur, il faut encore déduire les coûts de transformation du café, de lavage, séchage, triage et dépulpage des grains, les frais de la coopérative, de certification (commerce équitable et agriculture biologique) et le transport jusqu’au port. Certains jugent ces prix faibles, mais « le commerce équitable vise d’abord à renforcer la capacité de négociation des producteurs via le renforcement de leurs organisations. Dans le cas où les cours sont bas, le prix minimum garanti est un filet pour que cette négociation ne se fasse pas au détriment du producteur » , insiste Nicolas Gauthy, de Max Havelaar France.

D’où viennent les disparités tarifaires en France ? Les produits étiquetés équitables ont la même base de prix d’achat au producteur, fixée par FLO. Pour comparer les prix du café, denrée la plus consommée du commerce équitable, il faut d’abord se demander s’il est bio, s’il provient d’une seule origine ou s’il est mélangé. Il faut ensuite examiner les différentes pratiques commerciales. Dans les supermarchés, on trouvera les cafés des marques distributeurs (Auchan, Monoprix, Leclerc) et des marques spécialisées (Éthiquable, Alter Eco, Lobodis). Les premières sont en plein essor. Par exemple, Leclerc a lancé, pendant la Quinzaine du commerce équitable [^4], sa marque « Repère-Entr’aide commerce équitable », avec comme objectif de doubler son chiffre d’affaires sur les produits équitables en 2008.
Les grandes marques se contentent généralement d’acheter le café au prix des standards FLO et réduisent un peu leurs marges (entre 25 et 30 %), « par pure stratégie marketing et dans le but de séduire le consommateur » , analyse Véronique Gallais, présidente d’Action Consommation. Les cafés sont un peu plus chers chez les marques spécialisées (autour de 2,80 à 3 euros), mais, à qualité égale, elles talonnent certains produits conventionnels. « Le but d’Éthiquable, à terme, c’est d’être presque au même prix que le conventionnel, sans toucher au tarif producteur » , explique Rémi Roux, cofondateur de la coopérative Éthiquable. Mais, pour subsister, ces sociétés sont aussi contraintes de se différencier des marques distributrices avec lesquelles elles sont en concurrence. En cas de disparition de ces entreprises, la grande distribution pourrait alors facilement augmenter des marges qui auront participé à l’élimination de la concurrence, comme c’est actuellement le cas pour les produits bio.

En dehors des grandes surfaces, on trouve des produits équitables dans les réseaux de boutiques et de magasins spécialisés (Biocoop, Artisans du monde). Le revenu du producteur correspond aux standards FLO pour les produits marqués Max Havelaar, mais le tarif final varie en fonction de la qualité et des coûts de fonctionnement de ces réseaux. « On applique les critères de commerce équitable à l’ensemble de la filière, avec des retombées en matière d’économie solidaire chez nous. La différence est fondamentale par rapport à une approche uniquement centrée sur les produits » , explique Laurent Levard, délégué général de la fédération Artisans du monde.

Dans les réseaux de distribution spécialisés, on trouve également des denrées qui sortent du système FLO. Saldac (Solidarité avec l’Amérique latine pour le développement autonome des communautés), du réseau Minga, négocie par exemple directement avec chaque organisation de producteurs pour ajuster ses prix. Pour un café vendu 3,60 euros en boutique, Saldac reverse 73 centimes aux coopératives en prix FOB (23 centimes de plus que FLO par kilogramme), soit 52 centimes pour le producteur. Il existe également des réseaux militants qui importent eux-mêmes leur café, comme l’association Mut Vitz. En Haute-Garonne, celle-ci refuse d’ailleurs le terme de commerce équitable et lui préfère celui d’échanges solidaires (voir Politis n° 997). Cette année, Mut Vitz a payé le café 2 euros la livre (2,81 euros le kilo) aux coopératives, qui restituent l’ensemble de leurs bénéfices aux organisations du Chiapas, soit 1,10 euro par paquet de 250 grammes. Chaque structure pratique ainsi ses prix et son mode de rétribution des producteurs, ce qui implique des relations de nature différentes. Il n’y a pas un commerce équitable, mais des commerces équitables.

[^2]: Voir le hors série de Politis n° 47, « Commerce bio et équitable, enjeux et dérives », mai-juin 2008.

[^3]: 1 euro = 1,57 dollar le 9 avril et 1 livre = 453,6 grammes.

[^4]: Qui s’achèvera le 11 mai.

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