La musique prend des airs équitables

Pourrait-on appliquer au marché du disque certains principes
du commerce équitable, comme la « juste » rétribution des artistes ? Un livre et un festival posent la question et suggèrent des pistes.

Philippe Chibani-Jacquot  • 15 mai 2008 abonné·es

À ceux pour qui la musique équitable n’évoquerait que la dernière tendance de la world music, François Mauger [^2] expose le contexte en quelques chiffres : «Sur un CD à 17~euros, l’interprète touche 0,8~euro. Le deuxième vendeur de disques en France, derrière la Fnac, c’est Carrefour. Et quatre maisons de production (les majors Universal, Sony BMG, EMI et Warner music) se partagent 80% de parts de marché.»

Illustration - La musique prend des airs équitables


Les Ogres de Barback apportent leur concours à une réflexion sur la musique équitable. DR

Résultat, ces majors ne jouent plus leur rôle de producteur d’artistes différents et différenciés, pour ne penser que rentabilité, et laissent ce travail aux labels indépendants, obligés de serrer au maximum les coûts de leur investissement. En bout de chaîne, le musicien, le producteur de la matière première en somme, doit se résoudre à vivre d’art et d’eau fraîche.

Dans la Musique assiégée, Charlotte Dudignac et François Mauger lancent le débat sur ce que pourrait être une traduction des principes du commerce équitable dans l’économie musicale, après avoir exposé en détail l’économie de la production, du concert, de la distribution. «Rendre visible la dimension économique de la musique doit aider à restaurer ses valeurs» , estime Charlotte Dudignac. Juste prix, transparence, organisation démocratique, préfinancement… Tous les critères appliqués au café ou à l’artisanat sont évalués à l’aune de la spécificité de la production artistique. Un parallèle difficile à établir tant la valeur monétaire d’un bien culturel est a priori indéfinissable, et en raison des réflexes individualistes du monde artistique.

Des pistes apparaissent tout de même. Par exemple, plutôt que de parler de juste prix, peut-être faut-il penser à «un prix justement réparti» entre producteur, artiste, distributeur, commerçant. Une façon de dépasser une vision de l’équité qui s’arrête à la production de la matière première pour réfléchir à l’économie de la filière de production dans son entier.

Le grand intérêt de la Musique assiégée est de se réapproprier la démarche politique du commerce équitable. Le livre fendille le bloc monolithique de la production musicale actuelle, qui étouffe quasi systématiquement la viabilité économique de tout autre circuit de production. «C’est un livre-outil. Nous posons le cadre équitable pour interroger les pratiques qui existent» , relève François Mauger. Un livre-débat aussi. Page après page, les auteurs confrontent leur réflexion à la parole de producteurs, de vendeurs de disque et d’artistes comme Mano Solo ou Les Ogres de Barback.

Parmi ceux qui apportent leur contribution, Gilles Mordant fait office de défricheur. Ce musicien est à l’initiative de l’association Fairplaylist, qui a rédigé une charte de la musique éthique [^3]. Des principes y sont édictés, notamment de coopération et de solidarité, de rémunération équitable et transparente, d’autonomie de l’artiste et de développement durable. Et parce que les mots ne sont rien sans les actes, Fairplaylist organise, du 19 au 25mai, la deuxième édition du festival Ménilmontant, capitale de la musique équitable et écologique [^4]. «La charte n’a pas encore développé le thème du spectacle vivant. Mais nous allons utiliser notre pratique pour voir de quelle manière elle peut le couvrir» , explique Gilles Mordant.

En d’autres termes, Fairplaylist confronte ses idées à la pratique du réel pour l’orienter. «En général, le graphiste de l’affiche, le technicien, les gars de la sécurité sont payés alors que le musicien, celui qui fait le show, on lui demande trop souvent de jouer gratuitement» , regrette Gilles Mordant. Durant le festival Fairplaylist, tous les musiciens auront signé un contrat et percevront un cachet : «Chaque spectateur peut être persuadé que ce qu’il a dépensé pour acheter son billet sert à payer l’artiste» , résume-t-il.

Au-delà de cette condition indispensable, l’économie du festival au budget serré demande de repenser l’ensemble du mode de fonctionnement : «On voulait faire entrer des boissons équitables et bios au bar. Dans certains lieux, ils sont coincés par les contrats passés avec des brasseurs» , regrette le musicien. Ou encore, dans le cas d’une location de salle, on peut demander au locataire de financer la sécurité le soir du concert. À force de négociation et de discussion, les organisateurs du festival tentent de repousser le système en place.

Côté environnemental, Fairplaylist propose aux salles du festival et aux bars de Ménilmontant de réaliser leur écobilan énergétique en partenariat avec Greenpeace et le Point info énergie. Et des concerts gratuits seront proposés depuis une roulotte qui fonctionne avec des panneaux solaires.

Et parce qu’il ne faut pas oublier de faire la fête et de jouir de la diversité artistique d’un quartier mythique, le festival programme le son du Ménilmontant d’aujourd’hui avec notamment Fantazio, Les Chevals, Boum ! ou encore Sanseverino dans des lieux qui font l’identité du quartier comme L’Alimentation générale, La Java, Le Studio de l’Ermitage, La Forge de Belleville ou La Maroquinerie.

[^2]: Auteur avec Charlotte Dudignac de la Musique assiégée, d’une industrie en crise à la musique équitable, éditions L’Échappée, 14~euros.

[^3]: Fairplaylist en est coauteur avec Dyade-Art & développement et Utica, deux structures de production.

[^4]: Dates, lieux et tarifs sur .

Temps de lecture : 5 minutes