« Le débat sur les OGM est une leçon de politique »

Le député communiste André Chassaigne explique le cheminement personnel qui l’a conduit à combattre le projet de loi sur les cultures transgéniques, et insiste sur la nécessité d’une validation citoyenne.

Patrick Piro  • 22 mai 2008 abonné·es

André Chassaigne, élu dans le Puy-de-Dôme, est l’instigateur des deux camouflets infligés aux députés UMP lors de l’examen du projet de loi sur les OGM, par l’adoption en première lecture de son amendement « 252 » (vidé de sa portée depuis), obligeant au respect des filières agricoles de qualité et des parcs naturels, puis d’une motion de procédure bloquant l’adoption du texte en seconde lecture. Le texte devrait cependant être définitivement adopté, cette semaine, suite à l’artifice de son vote par la Commission mixte paritaire Assemblée ­nationale-Sénat.

Illustration - « Le débat sur les OGM est une leçon de politique »


Des militants de Greenpeace manifestent contre les OGM devant le siège de l’UMP, à Paris, le 31 mars. Saget/AFP

Avant les débats sur le projet de loi, vous ­n’aviez pas la réputation d’être un opposant attitré aux OGM…

André Chassaigne : J’avais même une position relativement ouverte sur leur développement, imbibé d’une culture communiste qui a toujours considéré, frôlant parfois le scientisme, que la science et la technologie, ne pouvant qu’être porteuses de retombées positives, ne devaient pas être bloquées.
Le Puy-de-Dôme, où je suis élu, est le fief de Limagrain, producteur de se­mences ­­– 6 000 salariés dans le ­monde. Je suis donc en lien étroit avec les grands céréaliers de la plaine de Limagne, mais aussi les agriculteurs de montagne. Le département est en effet marqué par ses petites exploitations familiales, vivant de produits de qualité labellisés comme les AOC saint-nectaire et fourme d’Ambert. Saint-Amant-Roche-Savine – 530 habitants –, village dont je suis le maire, compte un atelier de découpe-boucherie bio. La Confédération paysanne est très implantée et mène depuis des années un combat anti-OGM. J’ai donc cheminé. Je me suis mis à l’écoute et j’ai évolué à la suite de discussions, parfois dures, avec des militants me reprochant une trop grande ouverture vis-à-vis des OGM.

Pourquoi avez-vous basculé ?

Je considérais déjà que les cultures transgéniques n’avaient qu’un intérêt très limité pour les agriculteurs français. Ceux qui les adoptent en tirent peut-être un bénéfice immédiat – moins d’aspersion de pesti­cides, par exemple. Mais, à terme, il s’estompe, et le bilan est probablement négatif, d’un point de vue économique et environnemental.
Dans les pays du Sud, ces inconvénients sont aggravés par la domination qu’exercent les grands groupes semenciers sur de petits paysans, victimes d’une véritable arme alimentaire : on élimine les cultures ­vivrières, les semences et savoir-faire locaux, etc.
Ce qui m’a conduit de manière déterminante à la critique des OGM, c’est la nécessité désormais incontournable de soumettre la science à une validation citoyenne et collective. Du fait de leur impact potentiel considérable sur la société et l’environnement, les découvertes scientifiques doivent être soumises à la question préalable : « Qu’apportent-elles à la société ? »
Cela implique de renoncer à la délégation de pouvoir à laquelle nous sommes accoutumés, pour éviter que la science nous conduise au suicide collectif. À ce titre, j’apprécie la création d’un Haut Conseil des biotechnologies, où la société civile est représentée, même si ce collège ne pourra formuler que des reconmmandations, qui risque de le confiner au rôle de faire-valoir.

Votre position est originale au sein du parti communiste. Vous sentez-vous suivi ?

Des militants, dont des chercheurs, estiment que je ne suis pas assez sensible au progrès que représentent les OGM… Pourtant, je suis convaincu que le PCF évolue sur ces questions, et qu’il devrait un jour organiser un Conseil national dédié aux relations entre la recherche scientifique et la société.
Parmi les 18 députés communistes ou apparentés, nous avions des convictions di­verses. Je n’étais pas le plus radical. Mais, j’en suis très fier, nous sommes parvenus à une validation collective de mes amendements. Un seul ne les a pas signés, estimant qu’il aurait fallu être plus critique.
J’estime que la prise de conscience permise par ces débats très enrichissants est une leçon politique d’une portée qui dépasse le seul champ des OGM. Un parti comme le PCF peut s’en inspirer : l’élaboration de sa politique ne peut plus se faire de manière hermétique, elle doit faire l’objet d’un travail avec d’autres forces de la société, dans l’écoute continuelle de ses évolutions, pour être soumise elle aussi à la validation citoyenne. Je suis convaincu que la prise en compte de cette exigence, incontournable, peut devenir une nouvelle marque de fabrique de l’identité communiste.

Après les empoignades des législatives de 2007, le groupe parlementaire Gauche démocratique républicaine, qui regroupe les députés communistes et apparentés, écologistes et d’outre-mer de gauche, semblait réduit à un rôle technique. Comment a-t-il fonctionné ?

Malgré des différences de point de vue
– mais sans divergences fondamentales –, j’ai beaucoup apprécié notre méthode de travail, empreinte d’un respect mutuel extrêmement fort, en particulier à l’heure de défendre les amendements, et notamment avec les élus verts en compagnie desquels nous avons organisé des auditions avec des experts aux positions différentes. Même avec les socialistes, traversés par des opinions encore plus diversifiées qu’au PCF, nous nous sommes retrouvés sur cette critique du rejet de fait, inacceptable, du principe d’un « droit à produire et consommer sans OGM » adopté par le Grenelle de l’environnement.

Jean-Louis Borloo qualifie pourtant le texte de « plus précautionneux au monde »

C’est un mensonge : des pays européens vont beaucoup plus loin. Même en l’encadrant scrupuleusement, ce texte reste prévu pour développer les OGM. Il n’apporte aucune garantie de protection aux autres modes de culture, car il est bâti sur une tricherie : il considère qu’un produit contenant des OGM au-dessous d’un certain seuil n’aura pas besoin d’être étiqueté comme tel. En quelque sorte, le « sans OGM » n’a pas d’existence juridique ! Tous les amendements que nous avons déposés pour dissiper cette tromperie ont été rejetés.

Vous considérez-vous comme un militant anti-OGM ?

Non, je n’ai jamais fauché de maïs transgénique, ni manifesté avec des opposants, et je continue à me distinguer des protestataires radicaux : je ne rejette pas les OGM par principe. Cette technologie – qui sait ? – sera peut-être un jour mieux contrôlée, et porteuse de vrais bénéfices pour la société : adaptation des cultures à des sols difficiles, aux changements climatiques, meilleure valeur nutritive, etc. Je ne suis d’ailleurs pas opposé à ce que l’on cultive des OGM en plein champ, exceptionnellement, de manière limitée, avec un protocole très strict et sous couvert d’intérêts non commerciaux, car j’ai la conviction que la recherche ne doit pas être bloquée. Si j’ai un message à faire passer aux faucheurs volontaires, c’est surtout de ne pas toucher à la recherche publique.

Alors qu’elle est de plus en plus subventionnée par des entreprises, notamment dans le domaine des biotechnologies ?

Il faut bien sûr au préalable lui redonner son autonomie et la dégager des intérêts mercantiles. La loi sur les OGM sous-entend d’ailleurs que la recherche et l’expertise soient confiées au privé, ce qui constitue une raison de plus de la combattre…
Propos recueillis par Patrick Piro

Écologie
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