« Pour une revue de plaisir et de combat »

« Les Cahiers du cinéma » ont été mis en vente par le groupe Le Monde. Emmanuel Burdeau, leur rédacteur en chef, expose les grands axes du plan de reprise soutenu par la rédaction. Au cœur du projet : une vision qui ne dissocie pas la critique de l’économique.

Christophe Kantcheff  • 8 mai 2008 abonné·es

Les Cahiers du cinéma comptent parmi les publications mises en vente par le Monde, dans le contexte de la crise actuelle traversée par le quotidien. Pour les lecteurs de cette revue à la riche histoire, et pour le cinéma lui-même, en particulier pour celui que l’on dit « d’auteur », ou, plus précisément, « de recherche », cette nouvelle a de quoi inquiéter. Car les Cahiers du cinéma sont l’un des lieux, de plus en plus rares dans les médias, où non seulement se maintient une forte activité critique, mais où la nécessité de cette activité est sans cesse pensée et réaffirmée. Or, la persistance d’un débat critique et d’une réflexion sur la critique elle-même est l’une des conditions pour que les spectateurs ne soient pas définitivement transformés en consommateurs, et l’une des voies de résistance contre l’uniformisation.
D’où l’importance de la candidature à la reprise des Cahiers par son actuel rédacteur en chef, Emmanuel Burdeau, associé à l’un des rédacteurs de la revue, Thierry Lounas. Une candidature renforcée par le soutien que lui apportent la rédaction ainsi que le conseil éditorial.

La mise en vente des Cahiers du cinéma signifie qu’une menace pèse aujourd’hui sur le travail critique effectué par la revue. Quel bilan tirez-vous de celui-ci et quelle place occupe-t-il dans votre projet de reprise ?

Emmanuel Burdeau : Une menace pèse aujourd’hui sur la pensée critique en général. Mais il y a aussi des signes qui annoncent un redéploiement des énergies. La crise que traverse la presse, celle que traverse de son côté le cinéma – notamment d’auteur – obligent à dresser un double diagnostic, critique et économique. Inséparablement. Pour nous, tout est à repenser ensemble à l’intérieur d’une perspective « politique » globale : le cinéma n’est plus seulement en salle, et il n’est plus seulement dans les films.
Ces dernières années, les Cahiers ont tenté quelques percées. Ils se sont passionnés pour le numérique, théoriquement et pratiquement. Ils ont observé les rapports entre le cinéma et Internet, les technologies domestiques… Ils ont accompagné la mutation des pratiques documentaires. Ils ont entamé une réflexion sur la diffusion des œuvres, l’avenir de la salle… Ils ont interrogé leur histoire, celle du discours critique. Ce ne sont que des prémices. Il faut maintenant que les Cahiers affirment des choix : qu’ils soient une revue de plaisir et de combat. Et il faut qu’ils élargissent franchement leur champ critique : Internet, fictions télévisuelles, littérature romanesque, art contemporain…

Votre candidature à la reprise est portée par la rédaction des Cahiers et par son conseil éditorial. Que signifient ces soutiens ?

Il y a plusieurs cercles aux Cahiers : les salariés, la rédaction, Les Amis des Cahiers du cinéma , société civile qui réunit des personnalités du cinéma et des proches de la revue. Tous sont d’égale importance. Aux Cahiers , on a coutume de dire qu’une revue, c’est d’abord quelques personnes qui se parlent. L’aventure a toujours été collective. Que notre projet soit porté par la rédaction est à la fois logique et capital. Dans la légende maison, on dit aussi qu’il faut avoir entre 20 et 35 ans pour faire la revue : nous y sommes ! Quant au conseil éditorial, il a fait part de son enthousiasme vis-à-vis de notre projet dans un bref communiqué. Certains de ses membres sont écrivains, comme Pierre Alferi, ou ont une grande expérience politique, comme Philippe Mangeot. D’autres sont de grands anciens de la revue, comme Jean Douchet. Il est très important pour nous de réussir ce pari : regarder vers l’avenir tout en restant fidèle au passé. S’il y a une « ligne », elle est là.

Les pertes des Cahiers du cinéma sont estimées à 700 000 euros en 2007, et leur dette totale à plus d’un million d’euros. Quelles solutions proposez-vous pour revenir à l’équilibre ?

Le projet que nous élaborons avec Thierry Lounas a pour objectif d’amener les Éditions de l’Étoile, qui regroupent l’ensemble des activités des Cahiers – revue, livres, Internet, photothèque –, à l’équilibre pour les soixante ans de la revue, en avril 2011. C’est un défi, car les Cahiers ont été déficitaires tout au long de leur histoire, à quelques exceptions près : les premières années, la période « Filipacchi » (1964-1970) et le milieu des années 1980. C’est surtout une nécessité. Il ne saurait être question de simplement renflouer les Cahiers, au risque d’une nouvelle crise d’ici trois ou cinq ans. Il s’agit de réinventer un modèle économique et critique pour l’entreprise. Il y a des mesures d’économie à prendre, sans fragiliser l’équipe, et de nouvelles sources de recettes à développer. De nombreuses pistes restent à explorer. Il est crucial qu’Internet devienne enfin une pièce à part entière de notre espace critique. De même qu’il est inévitable, pour les Cahiers , de devenir un acteur de la diffusion des œuvres, à l’heure où celles qu’ils défendent ont de moins en moins accès aux salles. Toutes choses qui doivent être portées et décuplées par un « militantisme » passant d’abord – dans la revue et sur le site – par une campagne d’abonnements liée à la relance.

Vous êtes, bien entendu, en quête de capitaux. Quel type d’actionnariat recherchez-vous ?

Nous recherchons un véritable partenaire financier. Les discussions que nous avons engagées vont dans ce sens : les actionnaires de demain ne seront pas seulement des bailleurs de fonds, ils seront aussi des alliés et des incitateurs dans le développement des Cahiers . Aujourd’hui, nous sommes raisonnablement confiants. Pour deux raisons : le nom des Cahiers n’a rien perdu de son éclat, ce dont nous sommes heureux autant que fiers. De plus, à trois ans de leur soixantième anniversaire, les Cahiers sont idéalement placés pour ouvrir un chapitre entièrement neuf de leur histoire.

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