Les enfants du Soleil

Ensemble et séparément, Georges Bigot et Simon Abkarian poursuivent un parcours commencé à la Cartoucherie.
On les retrouve dans deux spectacles à l’affiche.

Gilles Costaz  • 5 juin 2008 abonné·es

Georges Bigot et Simon Abkarian ont été de grands acteurs du théâtre d’Ariane Mnouchkine. Bigot tenait les rôles de premier plan, roi shakespearien ou double de Norodom Sihanouk. Puis l’un et l’autre sont partis. Bigot a dirigé un festival et mène sa vie de comédien. Abkarian a continué le théâtre tout en devenant un acteur très demandé au cinéma. Les revoilà aujourd’hui dans le cercle du Soleil, ou non loin de là, prouvant qu’il n’y a pas de rupture avec leur théâtre fondateur et qu’on les y accueille à présent qu’ils sont indépendants et différents.

Tout d’abord, Georges Bigot revient comme metteur en scène. Il a dirigé une troupe basque, le Petit Théâtre de pain, de passage à Paris (au Soleil, précisément), dans une pièce de Tim Robbins, Embedded (Embarqués). Tim Robbins, le cinéaste, écrit et fait du théâtre, en effet, pour s’en prendre frontalement aux scandales de son pays ! Les «embarqués», ce sont les journalistes qui se sont laissé inviter par l’armée américaine pour rejoindre l’Irak et témoigner de la nécessité de cette guerre. Les voilà endoctrinés jusqu’à la moelle, censurés par les petits chefs et ballottés d’un lieu d’entraînement à un champ de carnage.

On admire qu’un Américain ait eu cette audace et cette santé dans l’écriture pamphlétaire. La pièce, en elle-même, mélange un peu trop les genres, tirant à la fois sur les ressorts de la farce féroce et sur la corde sensible. Mais Bigot mène la soirée à un train d’enfer, tandis que les douze comédiens se métamorphosent à une folle vitesse et savent être à la fois les gradés du Pentagone, les reporters aveuglés et les autres personnages de cette apocalypse à hurler de rire et d’horreur.

On peut, par ailleurs, retrouver Georges Bigot comme acteur et Simon Abkarian comme auteur dans Pénélope, ô Pénélope, présenté à Chaillot. Notons qu’Abkarian est aussi comédien, metteur en scène et scénographe du spectacle. Ils sont protéiformes, ces enfants du Soleil ! Là, il est aussi question de la guerre, mais de toutes les guerres. L’écriture préfère, dans cette réappropriation du thème d’Ulysse, le genre de la fable et de la mythologie. Mais tout cela est passé au filtre de nos douleurs modernes. Il n’y a plus d’héroïsme, plus d’apparat. Tout est cassé, les cœurs, les objets, les références, le temps où se passe la pièce. On est seulement sûr que Pénélope se désespère et qu’Ulysse, appelé Élias, est si détruit qu’il doute d’être aimé. Les objets qui sont sur scène sont d’aujourd’hui, les personnages arrivent à la fois de notre époque et de la nuit des temps.

Abkarian joue un revenant bouleversant, Bigot (en travesti) une mère défunte avec une puissance délicate, Catherine Schaub-Abkarian est une Pénélope aux vibrations secrètes. John Arnold, Sarajeanne Drillaud et Jocelyn Lagarrigue complètent la distribution de ce grand moment théâtral où le Soleil a acquis une autre lumière, celle d’un nouvel écrivain.

Culture
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