Marina Petrella doit vivre libre !

Réfugiée italienne, Marina Petrella est sous la menace d’une extradition dont le décret a été signé le 9 juin. Depuis quinze ans, cette mère de deux enfants a refait sa vie en France.

Christophe Kantcheff  • 19 juin 2008 abonné·es
Marina Petrella doit vivre libre !
© Les réunions des collectifs de solidarité ont lieu tous les mardis à la Fasti, à partir de 18~h~30 (58, rue des Amandiers, M° Père-Lachaise)

Qui donc mon extradition viendrait-elle punir ?» C’est en ces termes que Marina Petrella questionnait, dans une lettre écrite il y a quelques mois de la prison de Fresnes, où elle est incarcérée depuis le 25~août 2007, le sens de la menace qui pèse sur elle. Le Premier ministre, François Fillon, s’est-il même posé la question quand, le 9~juin, il a signé le décret d’extradition à l’encontre de la réfugiée italienne, ex-brigadiste, répondant ainsi favorablement à une ancienne demande formulée par l’Italie, en 1994~?

Illustration - Marina Petrella doit vivre libre !


Manifestation de soutien à Marina Petrella, actuellement emprisonnée à Fresnes, le 11 juin 2008. Coex/AFP

Peu probable. Le nom de Marina Petrella, après ceux de Paolo Persichetti et Cesare Battisti, n’est associé, par l’État français, qu’au mot «terroriste», qui, depuis un certain 11~septembre 2001 et le climat sécuritaire qui a suivi, est devenu un mot épouvantail, distribué sans retenue excessive. En outre, il n’aura échappé à personne que la France a signé le décret d’extradition de Marina Petrella à quelques jours seulement du début de sa présidence européenne. Tout un symbole…

Alors, reprenons la question : qui donc serait puni ? Autrement dit : quelle femme est aujourd’hui Marina Petrella ? Et quel parcours d’existence serait ainsi brisé, nié, si elle devait être renvoyée en Italie, où elle serait immédiatement conduite en prison ?

En 1993, lors de son dernier procès en appel, quand Marina Petrella entend la sentence du tribunal — condamnation à perpétuité pour ses activités au sein des Brigades rouges romaines –, elle est libre, et laissée libre par ses juges. C’est qu’elle n’est plus considérée comme un danger par la justice italienne, qui pourtant ne s’est pas montrée sereine, c’est le moins que l’on puisse dire, envers les militants d’extrême gauche… Un choix se présente alors à elle : ou bien elle reste en attendant son incarcération, après avoir déjà fait sept ans de détention provisoire, de 1982 à 1989, puis vécu sous contrôle judiciaire jusqu’en 1993. Ou bien elle s’exile en France, avec sa fille Elisa, qu’elle a eue quelques mois après son incarcération, en 1983, et mise au monde menottée, parce que les ex-Brigadistes ne sont pas des détenus comme les autres, toujours prêts au pire, même en accouchant…

Marina choisit de partir. Qui déciderait autrement ? La France, «pays des droits de l’homme», accueille les ex-activistes à la condition de tourner la page, de changer de vie. C’est la doctrine Mitterrand. La parole donnée de la République, que Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy piétineront sans état d’âme et en toute impunité. Marina s’en va, par le train, terminus gare de Lyon, mais ne fuit pas. Elle se présente aux autorités françaises dès son arrivée.

Marina Petrella a parlé du «chemin douloureux» de l’exil. Car il ne faut pas croire. Tout exil est déchirement. Et recommencement. Ce sont les premiers hébergements, les premiers petits boulots. Et l’apprentissage de la langue française, pour elle comme pour Elisa, immédiatement scolarisée. Heureusement, l’entraide fonctionne. Avec des Italiens déjà installés, et des Français.

Puis Marina rencontre Hamed. Un amour en France, avec un Français. Tous deux ont en commun une fibre sociale, le goût du partage et une attention à autrui. C’est pourquoi, alors qu’ils ont trouvé un emploi de gardiens d’immeuble dans une HLM d’Épinay-sur-Seine, ils créent un petit journal des habitants. Marina Petrella construit petit à petit une nouvelle vie, une autre vie. La France lui a ouvert un avenir. Un permis de séjour de dix ans se profile. Et avec lui, l’idée d’un nouvel enfant. Emmanuella naît en 1997. Le permis de séjour lui est délivré l’année suivante.

Marina veut aider les autres. Elle entame une solide formation de travailleuse sociale. Elle est successivement employée dans des centres d’action sociale, des associations d’accompagnement au logement. Elle donne satisfaction. On veut la titulariser. Mais c’est impossible. Il faut un casier judiciaire vierge. Partout, on connaît sa condition d’ancienne activiste réfugiée, mais personne n’en fait de cas. Seul ce point administratif le rappelle. Elle doit rester contractuelle.

«Quinze ans d’asile ont permis à ma mère de vivre une vie non déterminée par un passé douloureux ou trop présent, explique Elisa, qui elle-même se sent beaucoup plus française qu’italienne. Ma mère ne m’a jamais reparlé de sa période brigadiste. À 10~ans, quand j’ai quitté l’Italie avec elle, je savais ce qu’il fallait savoir.»

Pour autant, Marina Petrella n’a jamais rien renié. Ces phrases extraites de la même lettre citée plus haut en attestent : «J’ai participé à ce processus de radicalité en rupture de toute médiation devenue à nos yeux impossible, dans un aller-retour de volontés et d’incertitudes, dans l’espoir de n’avoir pas tort. […] L’affrontement fut radical, violent, des deux côtés. Nous avons exercé la violence et avons été violentés et torturés, nous et nos familles. Ces années-là sont une tragédie pour tous. Comme en tout conflit, à toute époque, sous toutes latitudes, tout le monde fut victime. Je porte en moi une responsabilité qui est à la fois personnelle et collective. Le fruit d’une histoire que j’assume car c’est mon histoire.» Peut-on se montrer plus franc, plus responsable ? En est-il de même de l’État italien, qui occulte cette période et «ne cherche qu’à satisfaire les sentiments primaires de vengeance» , comme le souligne une amie de Marina, Fernanda Marruchelli, coanimatrice des collectifs de solidarité, qui rassemblent avant tout des personnes du modeste milieu social de Marina et Hamed ?

«Qui donc mon extradition viendrait-elle punir ?» La réponse est accablante : une femme de 53~ans, qui a définitivement sa vie affective et professionnelle en France, ses deux filles, dont la cadette de 10~ans ressent d’autant plus violemment l’arrachement à sa mère qu’on lui fait subir qu’elle ne peut le comprendre, son compagnon, ses proches… Et l’idée même qu’un être ne se réduit pas à une identité, qu’il ne se fixe pas dans un acte, qu’il ne s’essentialise pas. Bref, serait aussi punie une certaine conception de l’humanité.

Marina Petrella, dans sa prison de Fresnes, a tenu bon pendant des mois, avec au-dessus d’elle l’épée de Damoclès de l’extradition. Mais, en avril, elle a lâché prise. Elle a dû être hospitalisée dans un hôpital psychiatrique à Villejuif, où elle est restée cinquante jours. Elle a été reconduite à Fresnes le 30~mai, dans un état plus déplorable encore, puis renvoyée à Villejuif le 12~juin. «Tous les médecins qui l’ont vue affirment qu’elle est dans un état psychique profondément dégradé et parlent d ’“épisode suicidaire majeur”», s’indigne son conseil, Me Irène Terrel. Le sort réservé à Marina Petrella relève d’un traitement inhumain et dégradant.» L’avocate a demandé au gouvernement français l’application de «la clause humanitaire» prévue dans la convention d’extradition franco-italienne de 1957, qui permet de ne pas extrader une personne si cela entraîne des conséquences d’une gravité exceptionnelle pour sa santé. Des actions contre son extradition sont aussi prévues [^2]. Pour empêcher que Marina Petrella ne devienne «une femme gelée».

[^2]: Cf. . Rassemblement aux jardins du Palais-Royal (M° Louvre-Rivoli), ce jeudi 19~juin à 18~h~30.)

Temps de lecture : 7 minutes