Tromperie sur la marchandise

Après six mois de travail sous la houlette de Martin Hirsch
et l’adoption d’une feuille de route contestée, le Grenelle de l’insertion se borne à appliquer les réformes du gouvernement.

Thierry Brun  • 5 juin 2008 abonné·es

Mise en place d’un «référent unique» dans le cadre de la réforme du service public de l’emploi, création d’un nouveau «contrat unique d’insertion» fusionnant les minima sociaux, réforme des règles de financement de l’insertion par l’activité économique, et revenu de solidarité active (RSA)… Les principaux engagements présentés par François Fillon lors de la clôture du Grenelle de l’insertion le 27~mai figurent dans le catalogue des promesses présidentielles et s’intègrent dans les réformes gouvernementales en cours.

Le Grenelle à peine achevé, le Premier ministre a annoncé une négociation «immédiate avec les acteurs locaux, et notamment les conseils généraux», autour du contrat unique d’insertion. Et les mesures «nécessitant une évolution de la législation» seront incluses dans le projet de loi généralisant le revenu de solidarité active (RSA), qui devrait être présenté au Parlement «dès cet automne», le tout sans moyens nouveaux. Surtout, rien n’a été retenu qui choquerait le patronat. L’insertion ne sera pas considérée comme étant du domaine de la négociation obligatoire, et pas question de conditionner une partie des allégements de charges sociales à l’investissement dans les politiques d’insertion.

Bien peu de choses ont finalement été retenues de ce Grenelle, processus de concertation décentralisée qui a duré six mois, sous la houlette de Martin Hirsch, ancien président d’Emmaüs France devenu haut commissaire aux Solidarités actives. Le Grenelle de l’insertion a pourtant rendu public un rapport général, et une «feuille de route» a été adoptée, mais elle ne fait pas l’unanimité.

«Nous ne trouvons pas de propositions portant sur le long temps nécessaire pour que certaines personnes reprennent pied dans la réalité, se retrouvent avec elles-mêmes, avant de prétendre engager avec elles une approche de l’emploi. Le “tout pour et par l’emploi” reste maître, relève François Chobeaux, animateur du réseau professionnel national “Jeunes en errance” et responsable du secteur social des Ceméa [^2]. Nous ne trouvons rien sur les approches portant sur la santé, sur les liens avec la psychiatrie publique en réponse à la massification des situations de souffrance psychique. Comment un texte d’ingénierie en politiques sociales peut-il ainsi oublier la réalité des actions d’aide à l’insertion ?»

ATD-Quart Monde, organisation de lutte contre la grande pauvreté et l’exclusion, s’étonne que «sur la question du “référent unique” devant accompagner le chercheur d’emploi de façon globale, le rapport général [aille] à l’encontre des souhaits émis par les chercheurs d’emploi et les associations qui les soutiennent. Les chercheurs d’emploi proposaient plutôt la création d’un nouveau métier en insistant sur la nécessité de son indépendance et le danger d’un référent se situant au sein de la structure qui a le pouvoir de “sanctionner”».

«Nous sommes régulièrement intervenus sur les incohérences entre le travail collectif produit dans le cadre du Grenelle et les différents projets et décrets qui ont été mis en place sur la période», souligne le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), qui a occupé le haut commissariat aux Solidarités actives pour alerter Martin Hirsch sur sa future «disparition», faute de reconnaissance et de financement. L’association cite pêle-mêle la «suspicion et le croisement des fichiers sociaux et fiscaux pour les chômeurs», le «décret sur le train de vie des minima sociaux», les «obligations et sanctions croissantes», «l’instauration de l’offre raisonnable d’emploi», «la suppression annoncée de l’allocation équivalent retraite». Sans oublier le RSA. Le Grenelle de l’insertion aura au moins mis en évidence les nombreuses contradictions entre les politiques développées par le gouvernement.

[^2]: Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active.

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