Une espèce menacée

De nombreux pêcheurs craignent de ne pouvoir poursuivre
leur activité. Trois d’entre eux témoignent ici de l’évolution
de leur métier et de leurs difficultés actuelles.

Mathilde Azerot  • 5 juin 2008
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Jean-Pierre Couïc

La pêche côtière en sursis

Jean-Pierre Couïc a choisi de pêcher le bar à la ligne (palangre) il y a maintenant trente ans. «C’est la pêche la plus sélective qui soit, puisqu’on rejette les petits poissons» , se plaît à expliquer ce marin pêcheur de 47~ans, originaire du Mans, ville qu’il a quittée pour intégrer l’école de pêche de Concarneau. Mais la crise actuelle menace sérieusement la qualité de la pêche côtière.

Avec la hausse du prix du gazole, Jean-Pierre estime avoir enregistré une perte de 40~% de chiffre d’affaires en deux ans. «Ce n’est pas compliqué, il y a deux ans encore, je gagnais environ 2~500~euros net par mois, aujourd’hui c’est presque moitié moins» , évalue-t-il. Pourtant, c’est indirectement qu’il est frappé par l’envolée du prix du carburant, qui ne représente qu’une faible part de l’ensemble des charges qu’il supporte. «Le problème, pour nous, c’est que les bateaux au large qui, eux, ne peuvent plus payer le gazole se rapprochent des côtes pour pêcher.» Et empiètent nécessairement sur les territoires des pêcheurs à la ligne. La concurrence est d’autant plus sévère que ces bateaux disposent d’une capacité de capture autrement plus importante.

Contraint de chercher d’autres sources de revenus, Jean-Pierre Couïc a diversifié son activité en obtenant une licence de casier pour pêcher le homard. Une solution à court terme, car, «si cela continue et si tout le monde se met à faire du homard, on ne s’en sortira pas non plus. Le problème n’est que repoussé» . L’autre hypothèse envisagée serait de vendre pour son propre compte mais, «à coup sûr, on aurait les mareyeurs et la grande distribution sur le dos».

Clément Cochou

Retrouver de la dignité

Arrière-petit-fils de marins, Clément Cochou, 49~ans, pêche la langoustine dans les eaux irlandaises depuis le début des années~1980. Quinze jours en mer pour trois jours à terre. «L’une de mes filles m’appelle le courant d’air, confie-t-il doucement, *je sais qu’elle a raison. C’est la seule de mes trois filles que j’ai vu naître.»

  • En 1989, il fait construire son navire pour 6,6~millions de francs (environ un million d’euros), «une chose impossible à l’heure actuelle car aucune banque ne suivrait, vu la conjoncture. À l’époque, il fallait apporter entre 15 et 20~% de la valeur du bateau, aujourd’hui les banques en demandent 30~%. Les jeunes n’achètent plus de bateaux» . Une autre préoccupation de la profession.

Son chalutier de 20,60~mètres absorbe dix-huit tonnes de carburant par marée, une consommation relativement économique. Mais avec le prix du gazole qui a doublé ces six derniers mois pour atteindre 0,75 euro le litre, les charges ont crû d’autant. «On ne peut pas continuer à payer des charges aussi lourdes, déclare ce patron d’un équipage de cinq matelots, on a calculé qu’avec un prix du gazole maintenu à 0,40 centime, les matelots gagnaient 400~euros en plus par jour travaillé ; on ne pourra s’en sortir que si le carburant reste à ce prix.» Ou il faudra trouver d’autres solutions pour compenser la différence.

Selon lui, la solution sera européenne ou ne sera pas, car la pêche française a suffisamment vécu sous perfusion des aides de l’État. Une situation qui a contribué à détériorer l’image de la profession, tant aux yeux de l’opinion qu’aux yeux des pêcheurs eux-mêmes. «Les subventions, c’est comme si on ne pouvait plus se débrouiller tout seuls» , interprète-t-il. Avec un chiffre d’affaires stable d’environ 700~000~euros par an, Clément fait partie d’une minorité privilégiée, une raison pour laquelle il s’impose l’optimisme : «Je suis fier de ce métier, et j’y crois toujours, ça sera difficile, mais il faut continuer à y croire ; sinon, c’est sûr qu’il n’y a plus rien à faire.»

Pierrig Nicolas

La jeune génération à bout de souffle

«J’ai 30~ans, et je ne sais pas si je vais pouvoir tenir comme ça encore vingt-cinq ans», lâche Pierrig Nicolas, visiblement découragé. Le ton est acerbe, et l’inquiétude se lit aisément sur le visage de ce marin pêcheur quiberonnais de la jeune génération.


«Le prix du gazole n’est pas le plus gros problème pour moi, explique-t-il, mon bateau est un polyvalent de 8,50~mètres et ne consomme pas beaucoup. De ce côté-là, c’est surtout les chalutiers qui trinquent.» Son obsession première est celle des quotas de pêche. «On ne sait jamais si on va pouvoir travailler l’année d’après. Moi, je pêche 110~kg de civelle entre janvier et mars, et si on m’enlève ça, je ne sais pas avec quoi je vais vivre, je ne peux rien prévoir.» D’où l’impression terrible de vivre en sursis.

Pourtant, si la pêche de la civelle est très réglementée, elle n’est pour l’instant pas soumise aux quotas, mais, pour Pierrig, «vu la tendance, je m’attends à chaque instant à ce que la fermeture de la pêche soit décidée. On investit, mais on ne sait pas si on pourra assurer derrière» . Et sa crainte est de n’avoir pas d’autre choix que celui de se reconvertir et de déplacer son espace de pêche en investissant le territoire des autres pêcheurs. La cohabitation étant, selon lui, l’une des causes du climat délétère qui règne dans les ports, c’est avec amertume qu’il conclut : «Honnêtement, si c’était à refaire, je ne le referais pas.»

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes
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