Vive le vent !

Dans la région de Navarre, les éoliennes ont conquis la population, qui, en dépit des craintes initiales, n’y trouve que des avantages. Reportage, à l’occasion des Journées européennes du vent, du 13 au 15 juin.

Claude-Marie Vadrot  • 12 juin 2008 abonné·es

À l’est de Tafalla, au cœur de la Navarre, Andrés et José passent leurs vignes en revue. Il a beaucoup plu et les deux vignerons craignent l’arrivée du mildiou. Ils remontent vers la pente menant à la ligne de crête, qui culmine en moyenne à 900~mètres, vers les éoliennes. «Cela fait longtemps que nous ne les voyons plus, explique José, *nous sommes habitués. Nos grands-parents ne voyaient pas plus les moulins à vent qui tournaient là-haut. Au début, les anciens râlaient car on leur avait raconté que ces engins, par les ondes et les vibrations dégagées, allaient changer le rythme du mûrissement ou le goût du vin. Des rumeurs couraient, mais nous n’avons constaté aucune différence.»
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Illustration - Vive le vent !


En Navarre, les éoliennes font désormais partie du paysage, au même titre que les bons vieux moulins. CLAUDE-MARIE VADROT

Pour le prouver, Andrés et José nous conduisent à la coopérative qui commercialise leur vin d’appellation contrôlée. Après dégustation avant et après la mise en place des éoliennes, l’évidence s’impose : le bouquet n’a pas varié. Pour ces deux agriculteurs et leurs collègues de la région, une seule nouveauté : plus de touristes, espagnols et étrangers, viennent photographier des éoliennes libres d’accès et repartent avec des bouteilles achetées à la coopérative.

Les offices de tourisme signalent en effet les principaux parcs éoliens. À Sangësa, le patron du seul restaurant du village fait mine de se plaindre : «Maintenant, les gens viennent plus pour les éoliennes que pour notre superbe église du XIIIe siècle, restaurée à grands frais. Elles sont plus faciles à photographier que notre monument, dont un côté est toujours à l’ombre.» Les habitués du troquet approuvent : «À part quelques grincheux et des bourgeois de Madrid qui ont des résidences secondaires, tout le monde est pour ces éoliennes.» Conscience collective ou résultat d’une dizaine d’années d’éducation, les habitants évoquent spontanément «le choix écologique».
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En bas du village, un dresseur de chiens qui côtoie les chasseurs depuis des années hausse les épaules quand on lui demande si les éoliennes *«ne tuent pas trop d’oiseaux». «Ridicule ! Les oiseaux, les petits comme les gros, les protégés comme les autres, se moquent des éoliennes. Même par grand vent, elles tournent très lentement. Allez vous promener sur la piste qui relie les éoliennes d’une même crête, vous y verrez autant d’oiseaux qu’ailleurs, et pas un seul dans l’herbe.»
Sur cette piste, au pied des mâts, s’entend un chuintement qui ne gêne même pas la conversation. Le bruit est un mythe.

À tout point de vue, les éoliennes font partie du paysage de Navarre, et il faut beaucoup insister pour débusquer des critiques. Quand, en 1994, le gouvernement de la Région décida de se vouer au vent, la «visibilité» fut le pari de départ. Comme le raconte Fernando Puras, ministre à l’époque dans le gouvernement de Navarre, qui fut l’un des inspirateurs de cette politique : «En 1995, quand nous avons commencé à imaginer que l’avenir énergétique de la Navarre, voire de l’Espagne, pouvait en partie reposer sur le vent, nous avons décidé d’installer six machines dans un lieu où la moitié de la région pouvait les apercevoir. Nous voulions savoir si la population, au-delà des arguments écologiques classiques, allait les accepter ou les refuser. La contestation ayant été très minoritaire, nous avons compris que nous pouvions nous lancer. Pour les communes, qui sont plus grandes qu’en France, l’intérêt économique était faible car la présence des parcs éoliens n’entraîne pas de gros revenus. Notre projet reposait en grande partie sur la certitude que le plan éolien relevait plus de l’intérêt général que des intérêts particuliers ou locaux.»

Les responsables ont étudié tous les sites possibles, mesuré l’importance du gisement éolien et l’accessibilité du réseau pour écouler la production. Le plan régional et le choix des sites ont fait l’objet d’enquêtes publiques contradictoires débouchant sur des annulations ou des diminutions de surface des sites, les maires ayant le dernier mot avec l’attribution des permis de construire. Fernando Puras insiste : «Pas un seul élu local, et donc pas une seule population, n’a refusé. Nous n’avons pas joué sur l’intérêt financier mais sur l’existence d’une sensibilité écologique.»

Ni la méthode ni le principe éolien n’ont été remis en cause par les associations d’écologistes et de naturalistes. Un seul reproche émerge au bout de dix ans : «Il est regrettable que la puissance publique [la Région] ait vendu ses parts dans l’entreprise Acciona Energia, qui fabrique et installe les éoliennes, dont le champ d’action a dépassé depuis des années le périmètre de la Navarre en devenant une société à vocation internationale. Nous aurions aimé que le gouvernement conserve une partie des actions et que, d’une façon ou d’une autre, la population puisse être associée à ce développement de l’éolien.» Cette réflexion commune aux écologistes politiques de la région, mais également entendue en Galice et en Catalogne, exprime l’inquiétude face à l’industrialisation d’une filière écologique qui, dans cette aventure, perdrait de son aspect alternatif. Fernando Puras rétorque : «En privilégiant les petites éoliennes, non seulement on en installe partout sans schéma directeur, mais, en plus, on n’a pas la capacité d’imposer le vent comme une alternative au nucléaire. Le gros éolien est notre seule arme plausible. Sur la participation de la Région au capital de la société qu’elle a créée au départ, avec le financement de la Caisse d’épargne de Navarre, je suis d’accord. La Région aurait dû conserver une minorité de blocage, mais, la majorité ayant changé, la décision a été politique.»
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Ce *«projet régional qui se projette dans le monde entier»
, selon Fernando Puras, a créé de l’emploi, ce qui renforce l’adhésion : en 1997, la compagnie de construction et d’installation employait 20~personnes. Aujourd’hui, elle compte plus d’un millier de salariés. Auxquels il faut ajouter 4~000~emplois induits pour l’entretien, et la naissance d’unités de recherche sur les énergies alternatives.

Sur les critiques concernant l’atteinte au paysage, Fernando Puras réplique : «La région va diminuer leur nombre en remplaçant les éoliennes existantes par de plus puissantes, sans augmenter la surface des parcs. Enfin, je dirais aux gens : “Si vous voulez moins d’éoliennes, éteignez la lumière plus souvent et oubliez la climatisation.” » L’argument sera souvent utilisé au cours des Journées européennes du vent [^2], du 13 au 15~juin, où des écologistes exprimeront aussi leur méfiance face à l’arrivée sur ce marché de grandes sociétés comme EDF, qui ont consacré des années à saboter le développement des éoliennes.

[^2]: .

Écologie
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