Au bal des transferts

Jean-Claude Renard  • 24 juillet 2008 abonné·es

Voilà un mois que la commission Copé a rendu son rapport, retouché par Sarkozy. Elle fait l’unanimité. Contre elle. Personne n’a manqué au râle inquiet. Auteurs, réalisateurs, producteurs, historiens des médias, l’intersyndicale de l’audiovisuel public (qui demande aujourd’hui à ce que la compensation des pertes de pub soit inscrite dans la future loi). Pour Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), « le péché originel de ce gouvernement est de ne pas avoir publié les décrets d’application de la mesure votée par le Parlement visant à renforcer les obligations de productions des diffuseurs, en contrepartie du canal bonus octroyé aux groupes privés pour la TNT » . Côté financement, justement, le conseil d’administration de France Télévisions vient d’annoncer un déficit de 100 millions d’euros dans son budget 2008. Ni plus ni moins que la conséquence de l’annonce de la suppression de pub en janvier dernier (les annonceurs, ayant anticipé la mesure, se retirent).

Seules les chaînes privées applaudissent la réforme en cours. Cela suffit à Jean-François Copé pour poursuivre son œuvre, sous la férule de son Président. Le projet de loi devrait tomber début octobre, et les décrets d’application devraient être publiés avant la fin de l’année. Le nouveau cahier des charges du service public est ainsi une affaire « entre l’État actionnaire et France Télévisions », a déclaré Copé, toujours à la tête d’une commission devenue « comité de suivi ». En assurant que « l’État ne fait pas les programmes, c’est le boulot de chaque chaîne ». Il n’aura pas besoin de les faire, puisqu’il met en place, aux postes stratégiques, des éléments à sa botte, écarte les petites rébellions. Au pire, on ne sera pas dans la censure, mais dans l’autocensure.
En marge du rapport (quoique), les sénateurs PS ont demandé, le 9 juillet, la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur « l’indépendance des médias », évoquant les « liens manifestes entre certains acteurs politiques, y compris au plus haut niveau de ­l’État, et les dirigeant de presse » (si l’on songe seulement à Bolloré, Bouygues et Lagardère, ça fait déjà beaucoup). Dans cet esprit, au nom du groupe PS au Sénat, Jean-Pierre Sueur milite pour une commission enquêtant sur les rapports entre le pouvoir exécutif et les entreprises gérant des organes de presse. Il souligne « l’emprise manifeste des forces économiques sur la presse » en attendant l’OPA de quelques opérateurs de chaînes privées sur la TNT.

Toute cette actualité, qui ramène aux ­belles heures du ministère de l’Information, pourrait être considérée comme une simple cuisine interne par le téléspectateur, qui ne juge (en tout cas ne voit) que les programmes, attentif qu’il est aujourd’hui au mercato (terme réservé longtemps au football, pour désigner le bal des transferts de l’intersaison, et aujourd’hui usé dans le PAF. C’est que les enjeux financiers et leurs jeux de chaises musicales sont pareillement considérables).
Attentif, le téléspectateur, mais parfois guère averti : un récent sondage révèle que près de la moitié des Français ne savent pas que TF 1 est une chaîne privée. Le mercato n’arrange rien. Rappelons que Julien Courbet et Patrick Sabatier gagnent le service public. Laurence Ferrari (Canal) prend le siège de PPDA sur TF 1, Anne-Sophie Lapix (TF 1) rejoint Canal. Marie Drucker (France 3) et Fogiel (M6) s’installent sur Europe 1 (groupe Lagardère). Loin du bal des contrats juteux, Audrey Pulvar continue son métier, Philippe Lefait idem, et Michel Mompontet prépare ses nouvelles chroniques de la rentrée à la mi-journée, le week-end. Il reste encore des cases de satisfaction.
Jean-Claude RenardPendant l’agitation du « mercato », le projet de loi de la commission Copé avance sa réforme en dépit d’inquiétudes et de réticences bien légitimes.

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