Il était une fois dans l’Ouest…

Dominique Plihon  • 24 juillet 2008 abonné·es

Toutes nos élites, de droite et souvent de gauche, le regard tourné vers le soleil couchant, ont été fascinées par les miracles économiques de ce qu’il est convenu d’appeler le capitalisme anglo-saxon, qui fonctionne aux États-Unis et au Royaume-Uni. Des économies dynamiques, innovantes, avec une croissance rapide grâce à un marché du travail flexible… et des systèmes financiers efficaces. Symboles insolents de cette brillante réussite : la City de Londres et Wall Street à New York, les deux plus grandes places financières de la planète.
Changement de décor à partir de l’été 2007 : les miracles deviennent catastrophes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les capitalismes dominés par la finance s’effondrent et déstabilisent l’économie mondiale. La finance, jadis potion magique, devient poison mortel. Les ressorts de la crise sont inhérents aux caractéristiques du capitalisme anglo-saxon : exigences excessives de rendement du capital, diktat des marchés, court-termisme, affaiblissement de la régulation publique.
Les pays qui ont adopté ce modèle de capitalisme financiarisé sont en pleine déconfiture. Le même scénario se répète : implosion de la bulle immobilière, pertes abyssales des banques au cœur de la spéculation, ménages surendettés et ruinés, chute brutale de l’activité économique. La Suisse, patrie des banques florissantes et opaques, assiste médusée à la faillite d’UBS, son plus beau fleuron – rebaptisé « Used to Be Smart ». Comble de l’humiliation, ce sont les fonds souverains des pays pétroliers qui viennent renflouer les grandes banques internationales. L’Espagne, dont la croissance rapide était tirée par une vague immobilière effrénée et dévastatrice, se trouve en panne depuis que la bulle a éclaté. Le premier promoteur de logements du pays (Martinsa-Fadesa) est en faillite. L’Irlande est également à genoux depuis que la drogue du crédit et de l’immobilier fait défaut. Jadis eldorado des travailleurs des nouveaux membres européens de l’Est, le Tigre celtique risque de redevenir une terre d’émigration et se venge en votant « non » au traité de Lisbonne…

La leçon de ce pénible épisode est claire : en donnant un rôle central à la finance et aux marchés d’actifs (Bourse, immobilier), les pays adeptes du modèle anglo-saxon ont construit un hypercapitalisme qui a porté à leur paroxysme les deux fléaux historiques du capitalisme : les inégalités et l’instabilité. Les écarts de revenus se sont creusés, accompagnés d’un accroissement rapide de la pauvreté. Les bulles spéculatives se succèdent et s’enchaînent à un rythme accéléré : bulle Internet, bulle immobilière, bulle des matières premières.
À la différence des crises précédentes – krach boursier de 1987, e-krach de 2000 –, la crise actuelle marque une profonde rupture. Deux éléments de rupture apparaissent déterminants, qui vont au-delà de la crise financière stricto sensu. Premièrement, la fin de l’hégémonie absolue des États-Unis, avec l’essoufflement du modèle de capitalisme anglo-saxon, et la montée en puissance de grandes économies émergentes (Brésil, Russie, Inde et Chine). Ce qui marque l’avènement d’une mondialisation multipolaire. Deuxièmement, la fin de l’énergie à bon marché, qui remet en cause la soutenabilité de l’actuel modèle de développement productiviste, fondé sur un gaspillage et une dévalorisation des ressources naturelles.
La rupture en cours a un caractère irréversible qui empêchera de revenir au statu quo ante . Après le grand cycle de domination des marchés et de la finance, l’heure est venue pour les gouvernements de reprendre la main. Ce mouvement a déjà été amorcé avec les aides publiques apportées aux établissements bancaires en faillite à la suite de leur implication dans la crise immobilière, qu’il s’agisse de Northern Rock au Royaume-Uni ou de Bear Sterns, Fannie Mae et Freddy Mac aux États-Unis. Le retour des États est manifeste, comme ce fut le cas au lendemain de la grande crise des années 1930.

Mais la dimension internationale des enjeux posés par la sortie de crise est devenue primordiale. Deux scénarios contrastés peuvent être envisagés selon le degré de coopération internationale. Le premier correspond à une montée des nationalismes dans un contexte de régulation internationale faible, comme c’est le cas actuellement. Les pays s’affrontent par tous les moyens, notamment pour sécuriser des ressources naturelles devenues rares. Ce scénario est évidemment lourd de menaces, en l’absence de lieu de résolution des conflits. Le second scénario repose sur une coopération multilatérale renforcée sur des bases nouvelles, écologiques et solidaires. Ce qui permettrait de jeter les fondements d’une autre mondialisation. Ce scénario optimiste apparaît aujourd’hui le moins probable, étant donné l’absence de volonté politique de ceux qui nous gouvernent, comme en témoignent les derniers sommets internationaux (G8, conférences européennes). Le seul espoir serait qu’un mouvement social s’organise à l’échelle internationale pour tourner la page du capitalisme financier.

  • Membre du conseil scientifique d’Attac.
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