« La terre n’est pas un outil mais un partenaire »

Le Syndicat inter-massifs pour la production et l’économie des simples présente un cahier des charges exigeant pour les plantes aromatiques et médicinales, et défend des systèmes de garantie participatifs.

Yoran Jolivet  • 17 juillet 2008 abonné·es

Bouteille en plastique et vrille à la main, Gigi s’appuie sur l’écorce blanche d’un bouleau pour recueillir sa précieuse sève de printemps. Mais cette année, « les arbres ne savent plus où ils en sont ». La faute à un hiver trop doux et à un coup de froid tardif. Demeurant à 750 mètres d’altitude au cœur de l’Ariège, Gigi et son compagnon, Roland, vendent des plantes aromatiques et médicinales. Ils participent au Syndicat inter-massifs pour la production et l’économie des simples (Simples) depuis vingt-cinq ans [^2]. Créés en 1982, les Simples comptaient alors une quarantaine de producteurs réunis pour échanger de l’information, défendre le métier d’herboriste (aujourd’hui réservé aux pharmaciens) et la qualité de leurs plantes. En 1988, ils obtiennent l’homologation de leur cahier des charges et de leur logo, et la reconnaissance implicite du métier de cueilleur. Avec 75 % de cueillette pour 25 % de culture, l’activité de Gigi et Roland demande une très bonne connaissance du terrain. Après la récolte, ils sèchent fleurs, racines ou feuilles à l’aide de claies disposées dans une petite pièce sombre de leur grange rénovée, à moins qu’ils ne les transforment en sirops, huiles de massage et teintures mères. On trouve leurs produits dans les magasins bios de la région, en vente directe ou par correspondance. Au fil des ans, la demande a fortement augmenté, la qualité de leurs plantes est reconnue, et « les gens sont de plus en plus sensibilisés car, dégoûtés de la médecine actuelle, ils se tournent vers une médecine moins destructrice », explique Roland Poussin.

Pour répondre à cette demande, la notion de réseau est fondamentale. « Quand il nous manque une plante, on regarde d’abord si on peut la trouver localement. Après, on va la chercher dans le réseau Simples, sinon chez Nature et progrès ou Demeter et, en dernier lieu, chez d’autres producteurs AB. » La moitié des producteurs du réseau mentionnent le label AB au côté de la marque Simples pour avoir accès à un réseau de distribution national, qui l’exige. Ils dénoncent néanmoins sa dérive. *« Cela fait un moment qu’on veut se démarquer d’AB, qui décline fortement, alors qu’on a su préserver une éthique forte », lance Thierry Thévenin, secrétaire général des Simples. « La terre est considérée non pas comme un outil de production mais comme un partenaire vivant »* , lit-on en tête de leur cahier des charges, l’un des plus exigeants de la bio. Plus qu’une indication, c’est une maxime. Outre une qualité irréprochable exigée pour les plantes, il est très pointu sur l’environnement des sites de récolte, qui doit être exempt de toute source de pollution.

Une des grandes originalités des Simples réside dans leur mode de contrôle. Ils rejettent en effet l’idée de certification technique externe, « chère et inefficace » selon eux. Chaque producteur s’engage donc à être contrôleur et contrôlé une fois par an. « La personne qui vient vérifier l’exploitation est pour nous aussi un conseiller avec qui partager des informations et trouver une solution quand il y a des difficultés. » Pour éviter le copinage, les producteurs changent de massif et de lieu chaque année. Ces contrôles intègrent également des consommateurs membres de l’association Simples, qui regroupe 190 sympathisants. Car les Simples militent pour des systèmes de garantie participatifs, tout comme Minga, et Nature et progrès. Ces systèmes défendent l’implication de tous les acteurs, du producteur au consommateur, dans l’évolution des cahiers des charges et des vérifications sur le terrain afin d’éviter le côté déshumanisé et purement réglementaire des grands labels.

Mais, malgré une bonne organisation des réseaux et une demande croissante, le syndicat ne compte aujourd’hui que 90 producteurs répartis dans les différents massifs montagneux de l’Hexagone. Le nombre augmente peu car le métier est difficile. « On ne gagne pas sa vie en faisant ce boulot-là », déplore Roland Poussin. À la difficulté économique s’ajoute surtout l’incertitude juridique. Le décret n° 79-480 du 15 juin 1979 n’autorise la vente que de 34 plantes médicinales en dehors des pharmacies. Aux côtés de ces plantes dites « libérées », les producteurs peuvent également commercialiser une centaine d’espèces « aromatiques », mais sans apporter aucune indication d’utilisation. Toutes les autres, avec des plantes aussi communes que le bleuet, le calendula, ou les feuilles de framboisier, se trouvent ainsi interdites. Ce qui a d’ailleurs valu un procès en 2004 à Jean-Louis Fine, cofondateur des Simples. Il a finalement été acquitté en appel le 4 février 2007, les services de la répression des fraudes n’ayant pu prouver la toxicité de la prêle. La législation est en cours de révision, mais les laboratoires français veillent à leur monopole. Si 34 espèces de plantes médicinales sont en vente libre en France, 350 espèces sont libérées en Allemagne et plus de 1 000 en Italie… Le lobbying reste visiblement efficace pour empêcher le métier d’herboriste de renaître, avec, en toile de fond, l’accès à une médecine alternative portée par de petits producteurs.

[^2]: Les simples sont des plantes médicinales, indigènes ou acclimatées utilisées sous formes d’infusions ou de préparations traditionnelles en tant que remèdes populaires. Renseignements : .

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