Le futur du No Future

Le punk rock a connu son apogée en 1977. Depuis il continue de nourrir toutes sortes d’idéaux et de styles musicaux.

Éric Tandy  • 24 juillet 2008 abonné·es

Trente ans après leur séparation officielle, les Sex Pistols se produisent cet été dans des festivals, sortent un DVD avec des séquences nostalgiques filmées par le cinéaste Julian Temple et évoquent même l’enregistrement d’un prochain album. Depuis quelque temps, c’est ainsi, des groupes se reforment, des livres et des CD paraissent, commémorant l’anniversaire du punk, qui a explosé en Grande-Bretagne en 1977. Des événements divers, mercantiles mais ­utiles car ils permettent de souligner l’importance du dernier grand mouvement à avoir véritablement bousculé l’histoire de la musique populaire. Tous les autres ­genres apparus depuis, comme la techno, n’ont pas eu la même force ni la même vocation de révolte face à un ordre et – surtout – à une génération établie.

Car, au départ, même si le punk rock était une sorte de petit coup monté par des managers avisés (Malcolm McLaren avec les Pistols, et Bernie Rhodes avec les Clash), il répondait parfaitement aux attentes des jeunes Britanniques de la fin des années 1970. La scène musicale ­new-yorkaise de l’époque – l’autre endroit où la nouvelle vague émergeait –, avec Patti Smith ou Television, étant, elle (à l’exception bien sûr des Ramones et de leurs chansons consciemment stupides), plus intello, se référant à la Beat Generation.

À l’époque, pas grand-chose dans le rock ne pouvait exciter les moins de 20 ans des cités de briques rouges de Londres, de Liverpool ou de Sheffield en recherche de points de repère ; car les grandes gloires d’alors (Pink Floyd ou les Rolling Stones, ces derniers commençant à s’autoparodier) étaient devenues symboles de vieillerie et de respectabilité. Il aura d’ailleurs juste fallu qu’un gros mot soit lancé par un membre des Sex Pistols lors d’une émission de télé pour que le punk, jusque-là confiné à un milieu restreint, prenne son essor dans l’Angleterre de l’avant-Thatcher. Preuve que l’irrévérence était autant attendue par les adolescents que les cheveux coupés courts (pour contraster avec la vision « hippie » de la génération précédente), les refrains agressifs et les slogans immédiats : « No Future » pour les Pistols, « London’s Burning » ­(« Londres brûle ») pour les Clash, « Boredom » (« Ennui ») pour les Buzzcocks, ­quatre introvertis chantant la déprime et la grisaille de Manchester.

Si la « carrière » des Sex Pistols s’est terminée en janvier 1978 après un concert catastrophique à San Francisco (car on ne peut pas prendre très au sérieux les actuels soubresauts de la bande à Johnny Rotten), celle des Clash s’est prolongée encore cinq ans. Pendant cette période, Joe Strummer, Mick Jones et le reste de ce quatuor en mouvement perpétuel n’ont pas fait que propager leur punk rock tendu, engagé ( « Nous sommes antifascistes, antiracistes mais aussi anti-ignorance ! » , clamaient-ils à leurs débuts). Ils se sont aussi, avec plus ou moins de réussite, tournés vers d’autres formes musicales : reggae et dub, bien sûr – car cela faisait naturellement partie de la vie de ceux qui grandissaient à Londres dans les années 1970 –, mais aussi rock années 1950, rythmes latinos ou même rap, qui émergeait tout juste à New York quand le groupe s’y installa pour une longue série de concerts au printemps 1981. Des mélanges qui firent un peu plus tard le bonheur du jeune Manu Chao, de sa Mano Negra et de tout ce que l’on nomma le « rock alternatif ».

Des descendants, le punk rock en a bien sûr eu beaucoup d’autres. La filiation s’établit forcément avec Nirvana et le grunge, même si l’on sait que ce courant-là prenait aussi ses sources dans le heavy metal lourdaud et sans esprit des décennies précédentes (Kurt Cobain, le leader de Nirvana, citait par exemple les grotesques hard-rockers de Kiss comme influences de jeunesse…).

Les idées noires des Buzzcocks ont quant à elles ouvert la voie à un autre rock anglais décrivant plus le malaise que poussant à l’insurrection, celui des Cure puis des Smiths et de centaines d’autres arrivés à leur suite. C’est aussi dans les années 1976-1979 que des dizaines de labels de disques indépendants sont apparus, prouvant ainsi qu’il était possible de diffuser une musique sans forcément suivre le chemin balisé par les ­multi­nationales. Un bel acquis, même s’il est souvent fragilisé.

En fait, trente ans après, on ne sait plus vraiment qui ou quoi a été influencé par le punk rock, la certitude, c’est que les ­jeunes groupes actuels calibrés pour ­teen­agers (Good Charlotte, Sum 41), qui caricaturent le genre en prenant la pause « destroy » devant les caméras de ­chaînes musicales commerciales américaines, comme MTV, n’ont rien à voir avec le début de cette histoire. D’ailleurs, aucun d’entre eux ne chante des choses comme « If Adolf Hitler Flew in Today/They’d send A Limousine Anyway » (« Si Adolf Hitler atterrissait aujourd’hui/Ils enverraient une limousine le chercher »), une phrase écrite par les Clash en 1978, qui reste pourtant d’actualité.

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