« Intrusions » : Folie trop douce

Avec « Intrusions », Emmanuel Bourdieu instaure un climat inquiétant mais échoue à mettre en scène les effroyables zones d’ombre de ses personnages.

Christophe Kantcheff  • 4 septembre 2008 abonné·es

Fallait-il ce début improbable pour entamer le scénario d’Intrusions, d’Emmanuel Bourdieu ? Pauline (Natacha Régnier), la fille d’un très riche patron (Jacques Weber), fixe un jour son attention sur un comptable de la boîte paternelle, couche avec lui la nuit même, et tombe enceinte. D’où mariage obligatoire et promotion du gendre (pour que son titre professionnel soit digne de la famille), sur lequel le piège ainsi se referme. Il n’aura de cesse de s’en émanciper dans la première partie du film, à l’atmosphère chabrolienne. Les rapports de classe y sont posés avec une certaine acuité, entre acidité et violence symbolique, voire physique, quand l’ordre risque d’être bouleversé. Le père n’hésite d’ailleurs pas à tabasser dans les coins lorsqu’il estime cela nécessaire, et sa fille à appeler son avocat à la rescousse pour que chacun se plie et satisfasse ses caprices.

Intrusions fonctionne ainsi plutôt bien, sur le mode d’une tragicomédie sociale chez de grands bourgeois fort peu sympathiques. Puis le film s’infléchit, quand, le problème du gendre rebelle résolu (on n’en dira pas plus), vient s’introduire chez Pauline un personnage étrange (Denis Podalydès), qui semble pouvoir la soumettre à un chantage. Dévie-t-on alors vers le thriller, avec menace permanente, prise en otage et torture psychologique ? Le spectateur n’y croit pas. L’individu qui tape l’incruste chez Pauline est trop mou, trop absent à lui-même pour représenter un quelconque danger. Denis Podalydès, acteur magnifique au demeurant, n’était peut-être pas le meilleur choix, en l’occurrence, pour jouer l’ambiguïté, l’opacité. Reste que Pauline, elle, est persuadée qu’il est là pour la déposséder de sa maison, et de tous ses biens. C’est d’ailleurs le « slogan » qui accompagne le film : « Les pires cauchemars sont ceux que l’on s’invente. »
La piste du basculement de Pauline dans une folie plus du tout ordinaire n’est pourtant pas davantage crédible. Certes, elle organise un dîner en forme de saturnales où elle reçoit ses invités dans le costume de soubrette de sa bonne (Amira Casar), tandis que celle-ci a revêtu une robe qui appartient à « Madame ». Mais cette mise en scène correspond à un plan de vengeance, plus machiavélique que délirant. Cette longue séquence pourrait aussi partir en vrille, prendre une dimension totalement extravagante. Un vent de démence destructrice viendrait alors emporter les personnages, bouleverser les interdits, et choquer enfin le spectateur.

Mais cela serait un autre film, plus enfiévré et, en fin de compte, plus passionnant. Intrusions n’est pourtant pas un film sans qualités. Il instaure des atmosphères, où se mêlent inquiétude et fantaisie noire, ou dénote un sens de l’ellipse bienvenu au montage. Mais on peut regretter sa trop grande sagesse, son visage policé, et, finalement, la modestie de son enjeu. Emmanuel Bourdieu, qui réalise ici son quatrième long métrage, avait pourtant des intentions très fortes. Notamment sur la mise au jour de la monstruosité que chaque être humain porte en lui. De ce point de vue, Intrusions reste froid là où il devrait être glacial, sec là où il devrait être cuisant. En ce sens, il est assez emblématique d’une certaine tendance du cinéma français, pour laquelle la désormais fameuse expression « cinéma du milieu » est, malheureusement, aussi à entendre d’un point de vue esthétique.

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