Une semaine d’égarements

Denis Sieffert  • 4 septembre 2008 abonné·es

Avant d’aider un tant soit peu les chômeurs à retrouver du travail, le désormais fameux revenu de solidarité active (RSA) aura surtout semé une belle pagaille politique : à droite, à gauche, au centre, dans la presse, parmi les économistes et, subséquemment, dans l’opinion. À soi seul, il est un signe des temps. En relisant les commentaires qu’il a suscités au cours de la semaine écoulée, on se convaincrait aisément qu’il n’y a plus dans ce pays aucun repère politique. Sauf peut-être le Medef, solidement enraciné dans la défense d’intérêts immuables. Imaginé par un sous-ministre réputé de gauche dans un gouvernement de droite, le haut-commissaire aux Solidarités actives, Martin Hirsch, puis mis en œuvre par le Président le plus à droite de notre histoire contemporaine et, enfin, salué par une partie de la presse de gauche, vilipendé par une partie de la presse de droite, le RSA semblait venir de nulle part. Gardons-nous pourtant de prêter à Nicolas Sarkozy une « stratégie fine » destinée, comme l’on dit, à « faire bouger les lignes ». Le premier déboussolé dans cette affaire, c’est sans doute le président de la République lui-même. Son quinquennat est lesté par la toute première mesure qu’il s’était empressé de prendre sitôt arrivé à l’Élysée, le fameux « paquet fiscal » de quinze milliards d’euros offert en cadeau aux riches. Et il est aujourd’hui pris à la gorge par une conjoncture économique désastreuse. En vérité, Nicolas Sarkozy navigue à vue.

On peut au moins être d’accord avec Laurence Parisot sur ce point : la multiplication des taxes, et cette sorte de fatras fiscal qui en découle, est pour le moins étrange dans la panoplie politique d’un ultralibéral qui avait fait campagne contre l’impôt. La brusque réévaluation des prévisions des chiffres de la croissance par François Fillon, dimanche, donne la mesure de la panique gouvernementale. Voici encore quelques semaines, le gouvernement ne voulait pas démordre de son rêve à 2,25 %. En admettant finalement que la croissance pourrait ne pas dépasser 1 %, il fait l’aveu brutal de son mensonge. Et de son désarroi. Seule une habile communication a réussi à faire croire qu’il « taxait le capital ». Certes, si l’on entend par « capital » la petite épargne du salarié qui a quelques économies de côté, l’expression n’est pas inexacte. Mais on voit bien que ce n’est pas dans ce sens-là qu’elle a été utilisée. Pendant plusieurs jours, nous avons même eu droit à des commentaires délirants. Sarkozy « prenait aux riches pour donner aux pauvres » . Ce n’était plus les jardins de l’Élysée, c’était la forêt de Sherwood. Ce n’était plus le Président bling-bling, mais Robin des Bois. L’idée d’une mesure de gauche était accréditée par les cris d’orfraie parmi les députés de droite, au sein du Medef, et jusque dans les colonnes du Figaro. Sans compter que – argument décisif – la mesure figurait dans le programme de Ségolène Royal…

On en était à interroger les motivations de ce ralliement de Nicolas Sarkozy à la tradition communiste – influence de Carla Bruni, conscience taraudée par le péché du « paquet fiscal », héritage gaulliste du Président au-dessus des classes ? – quand, enfin, les commentateurs ont commencé à déchanter. Finalement, le RSA allait surtout frapper les classes moyennes. Seraient touchés les quelque douze millions de Français qui possèdent une assurance-vie, et les 80 % de nos concitoyens qui possèdent un livret bancaire ou un compte épargne. Les énormes profits réalisés par la spéculation financière ne seraient pas visés. Lundi dernier, le RSA a d’ailleurs livré sa vérité ultime lorsque Christine Lagarde, la ministre de l’Économie, a mis fin à l’insupportable suspense : non, la taxe pour le RSA n’échappera pas au bouclier fiscal. Autrement dit, la nouvelle taxe ne concernera pas les très gros salaires ou les gros revenus du capital. Martin Hirsch était désavoué. Puis, retour de lucidité, le RSA était analysé plus en profondeur : non seulement son financement avait bien peu à voir avec un rééquilibrage capital-travail, mais le dispositif lui-même était contesté par des économistes (voir l’article de Thierry Brun). Il n’était plus ce complément de salaire incitant les chômeurs à reprendre un emploi, mais une mesure qui s’inscrit dans la logique générale de précarisation et de coercition. Les allocataires qui refuseraient deux emplois seraient sanctionnés. Il encouragerait les entreprises à abuser du temps partiel et d’emplois précaires peu rémunérés. Enfin, coup de grâce, il serait peu efficace pour une population de chômeurs très « désocialisés ». Ces accidentés de la vie pour qui la question financière n’est même plus l’essentiel. Ceux-là n’échapperont pas au cycle de la contrainte et de la sanction. Après une semaine d’égarements, le RSA a finalement retrouvé sa place dans une certaine logique gouvernementale. Pour y comprendre quelque chose, il valait décidément mieux regarder du côté d’Attac que du Parti socialiste…

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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