Double vue

Paula Giusti adapte « le Grand cahier » d’Agota Kristof, en insistant sur le thème de la gémellité.

Gilles Costaz  • 23 octobre 2008 abonné·es

Le Grand Cahier, étonnant roman d’Agota Kristof, ne cesse de fasciner les gens de théâtre. Parmi les adaptations scéniques, il y en eut une, mémo­rable, vue à Avignon et qui venait du Chili, donnée par l’équipe de la Tropa. Celle qui est créée à présent dans le théâtre d’Ariane Mnouchkine sous le titre la Trilogie d’Agota Kristof est l’œuvre d’une Argentine de Paris. Le plaisir qu’on y prend vient précisément d’un style qui n’est pas européen et qui sait proposer un autre langage théâtral.
L’histoire, connue, est une affaire de jumeaux dans un pays ravagé par la guerre. En raison de la pauvreté de leur famille, des jumeaux sont confiés à une grand-mère paysanne intraitable. Leur nouvelle vie sera sans cesse confrontée à la violence qu’ils rencontreront et dont ils seront, malgré eux, les porteurs. Affamés, ils rançonnent un curé dont ils ont appris les agissements lubriques. Ils sont la cause indirecte de la mort d’une servante. Et ils sont mis à contribution pour les plaisirs masochistes de l’ordonnance qui fait régner sa loi en ce temps de guerre.

La scène se résume à un carré dessiné avec des feuilles mortes, fermé par des portes obscures. Les acteurs sont maquillés à grands traits. Et tout est doublé : chaque personnage est en deux exemplaires, collé à l’autre : les hommes en femmes ou le contraire, un double plus grand ou plus gros que l’autre, peu importe ! Bizarrement, ce principe du double, qui tend à multiplier les regards et à casser toute vision unilatérale, esquive un des personnages : le soldat masochiste. On ne sait pourquoi. Sans doute ne faut-il pas multiplier le mal. En atteignant à l’expression la plus simplifiée, le spectacle de Paula Giusti plonge dans ce qui est le plus complexe, le plus essentiel des rapports humains, qui est aussi le plus noir et le plus trouble. D’où un bonheur théâtral qui tourne le dos à toutes nos modes.

Culture
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