Plus dure sera la suite

Le projet de loi de finances actuellement en discussion à l’Assemblée nationale s’alignera sur le plan de sauvetage destiné aux banques.
Mais il sera inefficace pour sortir de la crise sociale.

Thierry Brun  • 23 octobre 2008 abonné·es

Crise oblige, les débats budgétaires ont débuté plus tôt que prévu. Bien avant les discussions sur le budget 2009 [^2]. Le Parlement a dû adopter en urgence un projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, destiné à ­mettre en œuvre le plan de sauvetage à 360 milliards d’euros des banques françaises. Cette loi, qui entre dans le cadre du collectif budgétaire habituellement adopté en fin d’année, a été votée les 14 et 15 octobre par le Parlement pour faire en sorte que l’argent public serve à renflouer rapidement les banques. Le système financier ne pouvait attendre l’examen du budget de l’État à l’Assemblée nationale, qui a commencé lundi sous le feu des critiques, l’opposition jugeant ce budget dépassé en ­raison de la récession qui se précise.

Illustration - Plus dure sera la suite


Le plan de sauvetage des banques françaises coûtera 360 milliards d’euros. Lohnes/AFP

Les syndicats de salariés ont pointé la contradiction dont souffre le projet de budget : la priorité est de lâcher du lest sur l’endettement de l’État pour soutenir les banques, mais sans réviser les orientations budgétaires pour sortir de la crise sociale. Le ministre du Budget, Éric Woerth, a assuré que le plan de sauvetage n’aura pas d’impact direct sur les finances publiques, et considère que le projet de loi de finances reste « réaliste » . « Nous respecterons nos engagements européens » , a également promis François Fillon, tout en admettant que « tout le modèle de Maastricht va être déformé » de façon « temporaire » (voir la chronique de Thomas Coutrot).
« Ce que je reproche aux annonces, c’est qu’on ne modifie en rien ce qui a plombé le système économique » , s’émeut Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT. « La France aurait dû pouvoir traverser la crise au moindre mal. Il n’en sera rien, car la politique du gouvernement Fillon depuis l’été 2007 aggrave les effets de la crise financière, souligne l’économiste Jacques Sapir. Et « nous allons buter sur une crise économique plus grave à l’horizon 2010-2012 » , estime Denis Durand, secrétaire général de la CGT-Banque de France.

Or, le gouvernement a décidé de maintenir le cap d’un budget de rigueur et de « coupes claires effectuées dans tous les budgets sociaux de la loi de finance 2009 » , s’indigne le PCF, qui note que les salariés subiront des ­suppressions massives d’emplois. Pas moins de 45 000 postes d’intérimaires ont été détruits en trois mois, et 12 000 emplois ont été supprimés au cours du premier trimestre. La révision générale des politiques publiques (RGPP), destinée à réduire les dépenses publiques, est aussi dénoncée. Elle devrait se traduire par la suppression de 35 000 postes de fonctionnaires en 2009 (15 000 dans la seule Éducation nationale) et le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, estiment les syndicats. « Dans ce même budget, le gouvernement gèle la prime pour l’emploi destinée aux salariés modestes. Le gouvernement réussit ce tour de force incroyable : il aggrave de façon concomitante les déficits et les inégalités » , estime Didier Migaud, président (PS) de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Mesure emblématique de cet accroissement des inégalités, le « bouclier fiscal » n’est pas remis en question. Il a pourtant coûté 15 milliards d’euros à l’ensemble des contribuables et a rapporté en moyenne 84 700 euros à moins de 2 300 contribuables ayant des revenus supérieurs à 41 982 euros, alors que le Smic mensuel est de 1 321 euros.
Pour lutter contre les effets de la crise sur l’emploi, souci premier des Français avec le pouvoir d’achat, un plan de soutien à l’emploi devrait être présenté par Nicolas Sarkozy ce jeudi 23 octobre. Le gouvernement a déjà indiqué qu’il aurait recours aux contrats aidés, notamment dans les secteurs public et associatif. L’enveloppe de 230 000 contrats prévue dans le projet de loi de finances devrait être augmentée et s’ajoutera aux 22 milliards d’euros en partie puisés dans les dépôts collectés sur les livrets de développement durable (les LDD, ex-Codevi) et d’épargne populaire (LEP), qui ont été débloqués pour soutenir les PME. L’Unedic (assurance chômage) est également intervenue en faveur des PME en leur octroyant des délais de paiement pour les cotisations chômage, en les reportant de deux mois.
Pour compléter cet ensemble, Xavier Bertrand, ministre du Travail, et Luc Châtel, secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation, ont souhaité la généralisation du travail du dimanche. Un remède pire que le mal pour Gérard ­Filoche, inspecteur du travail et militant socialiste : « L’offensive pour forcer les salariés à travailler le dimanche s’appuie sur des promesses de ­compensations liées au salaire : certes les salaires sont trop bas, il faut les augmenter, mais pas en dégradant les conditions de travail et de repos. »

En vertu du très libéral programme de stabilité européen, les marges de manœuvre budgétaire restent restreintes pour résoudre la détresse sociale. L’examen de l’autre volet budgétaire qu’est le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (PLFSS) montre un décalage avec la situation économique et sociale. Le PLFSS, qui intégrera le projet de loi « Hôpital, patients, santé, territoires », a été rejeté par les conseils des caisses ­nationales de la Sécurité sociale, notamment parce qu’il n’offre aucune perspective « face à l’amplification des inégalités sociales et territoriales devant la santé » , constate la CGT. Franchises médicales et taxation des mutuelles, aux conséquences inéluctables sur les assurés sociaux, s’ajouteront aux effets de la crise, alors qu’on sait que 15 % de la population renoncent à se soigner ou reculent le moment de le faire, faute de moyens financiers suffisants. À cela, s’ajoute le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté : il dépasse désormais les 7 millions.
La solidarité d’État est certes de retour, et le budget est un levier pour la mettre en œuvre, mais celle-ci « s’exerce pour sauver nos amis les banquiers, notent Caroline Mécary et Willy Pelletier, animateurs de la Fondation Copernic. Nous qui imaginions, à suivre François Fillon, l’État français en faillite, sans capacités financières pour la Sécurité sociale, les régimes de retraites, les postes d’enseignants, les hôpitaux publics, l’indemnisation des chômeurs… Cherchez l’erreur ! »

[^2]: Le budget 2009 est examiné dans un projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, qui s’inscrit dans le nouveau cadre défini par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Temps de lecture : 6 minutes