Deux rois dans son jeu

Jean-Claude Fall monte en diptyque « Le Roi Lear » et « Richard III ». Le premier est très beau, mais le second ne suscite pas le même enthousiasme.

Gilles Costaz  • 6 novembre 2008 abonné·es

Éternel premier de la classe, Shakespeare est actuellement sur toutes les affiches, tandis que l’édition de La Pléiade, dirigée par Jean-Michel Déprats et Gisèle Venet, s’enrichit de deux nouveaux volumes appelés Histoires (soit les tragédies historiques). Restons-en au diptyque que Jean-Claude Fall vient de monter à Montpellier. Il réunit une même distribution dans Le Roi Lear et Richard III . Avec Le Roi Lear , Fall a pris tous les risques. Il a établi un nouveau texte français, fait la mise en scène et – lui qui n’est pas à proprement parler un acteur – assumé le rôle-titre, l’un des plus démesurés qui soient. Et il réussit son pari impossible, du moins pour cette première pièce.
Sur une surface pentue de bois à claire-voie (scénographie de Gérard Didier), les acteurs déboulent vers le public et reviennent sur cette bosse abstraite, sombre et parfois pluvieuse. Les personnages sont intemporels et contemporains à la fois. La mise en scène de Fall ne tombe pas dans l’erreur où ont chuté tant d’hommes de théâtre, celle d’idéaliser Lear, d’en faire une pure victime. Le spectacle le suit, le traque, l’éclaire dans son aveuglement, dans sa volonté de domination d’autant plus forte qu’elle se cache sous l’abdication. Ce Lear en manteau de cuir noir est un méchant, un avide, un vaniteux. Mais il a en face de lui ses deux vilaines filles, qui sont du même acabit et se sont entourées de partenaires souvent aussi féroces qu’elles.
Tout n’est plus que nuit traversée ­d’orages. Le combat de la barbarie contre l’humanité peut déployer ­également sa tromperie aristocrate et son art de la boucherie.

Les acteurs, Luc Sabot, Isabelle Fürst, Fanny Rudelle, Jean-Claude Bonnifait, David Ayala, Julien Guill, Grégory Nardella, Marc Bayle ont une forte présence d’êtres de chair comme ­doublés de leur fantôme. Une mention spéciale pour Christel Touret, qui joue à la fois, d’une manière remarquable, le fou insolent et la sensible Cordelia. Quant à Jean-Claude Fall, il dégage une puissance qu’on n’imaginait pas, tout en gardant la fragilité d’un homme de théâtre plus habitué à penser les spectacles qu’à les incarner.
Ce Roi Lear est vraiment très beau, supérieur à ceux qu’ont présentés récemment André Engel (avec Piccoli) et Jean-François Sivadier (avec Nicolas Bouchaud), aussi renouvelé que celui mis en scène par Laurent Fréchuret (avec Dominique Pinon).

On n’aura pas pour Richard III le même engouement. Le rôle de roi y est tenu avec vigueur par David Ayala, mais la volonté de se référer au cinéma d’action (Richard III se délecte d’avoir un flingue à la main) écrase ce qu’il y a de meilleur dans le spectacle (l’émotion des femmes, portée notamment par Roxane Borgna). Une fois montées ces sept heures de Shakespeare, sans doute faut-il réexaminer la deuxième moitié du diptyque.

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