Générosité très ordonnée

Nouveaux outils d’incitation au mécénat, les fonds de dotation présentés par la ministre de l’Économie contribuent à libéraliser le secteur.

Pauline Graulle  • 27 novembre 2008 abonné·es

«Faire sauter les cadres réglementaires » pour libérer la philanthropie. Tel est, selon la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, l’objectif des fonds de dotation, dispositif né de la loi de modernisation de l’économie du 4 août dernier. Cette nouvelle structure d’incitation au mécénat, que Bercy aimerait voir se développer par centaines dès 2009, s’inscrit dans la stratégie globale du gouvernement de multiplier le recours au financement privé. Réduction fiscale pour les donateurs redevables de l’ISF, élargissement des partenariats public-privé, création de fondations universitaires, aujourd’hui ces fonds de dotation… Le développement d’une philanthropie à l’américaine est la formule toute trouvée pour faire passer la pilule du désengagement de l’État.

Cousu sur mesure pour permettre au musée du Louvre de faire fructifier les 400 millions d’euros empochés grâce à la vente de sa « marque » à Abu Dhabi, le fonds de dotation pourra aussi être géré par un individu. Calqué sur le modèle des endowment funds anglo-saxons, il permet aux particuliers, aux associations, aux secteurs privé et public de créer un fonds constitué d’apports en liquidités ou en patrimoine. Les produits du capital seront ensuite reversés aux institutions elles-mêmes dans le cas des hôpitaux, des musées et des universités, ou à des œuvres d’intérêt général. « Un particulier pourra financer la médiathèque de son quartier, et une multinationale mettre en place un circuit d’eau potable en Afrique » , s’est réjouie Christine Lagarde, venue présenter la semaine dernière son bébé aux acteurs associatifs.
Aussi rapides à créer qu’une association – une déclaration en préfecture suffit –, les fonds de dotation, qui brasseront des dizaines de millions d’euros, bénéficieront d’un contrôle léger. « Cette souplesse a du bon quand on sait le temps qu’il faut pour mettre en place une fondation, estime Marie-Stéphane Maradeix, directrice de la campagne de collecte de fonds de l’École polytechnique. Mais après des années de “rigidité” du système, où le statut des fondations a été encadré et protégé par des lois successives, les autorités publiques ont soudain lâché la bride du mécénat. Il faut espérer que cette libéralisation excessive ne nous fera pas revenir à certaines dérives passées. » Mais aussi redouter que les associations et fondations traditionnelles ne puissent supporter la concurrence. « N’importe qui pourra désormais faire appel à la générosité du public. Cela pose des problèmes en termes de transparence et de professionnalisme » , remarque Nadia Roberge, présidente de l’Association française des fundraisers , qui regroupe les professionnels de la collecte de fonds.

Cerise sur le gâteau, les donateurs du fonds de dotation bénéficieront des dispositions relatives au mécénat. Soit une réduction fiscale de 66 %. Une aubaine pour les grandes fortunes, qui, en ces temps de prétendue traque aux niches fiscales, sauront y trouver leur intérêt. « C’est un gros cadeau fiscal » , a même lâché Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques au ministère de l’Économie. À croire que, pour le gouvernement, la générosité doit profiter davantage à celui qui en use qu’à celui qui en bénéficie…

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